Une multinationale bâloise fait don d'un terrain de 127 hectares à un état du Brésil pour qu'un centre de recherche pour l'agriculture écologique y soit implanté. Elle publie à ce sujet un communiqué qui ne fait que neuf lignes de long:
pourquoi ce geste et pourquoi cette discrétion?
A la surprise générale et sans annonce préalable, l'entreprise Syngenta a signé le 14 octobre à Curitiba un acte qui fait don de son terrain de Santa Tereza do Oeste à l'Etat brésilien du Paranà. Le gouverneur Roberto Requiâo, du parti centriste PMDB, a immédiatement annoncé que la revendication du MST (Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre) allait enfin pouvoir être réalisée: transformer le terrain en centre de recherche étatique pour le soutien à l'agriculture écologique. La recherche et la production de semences devraient dorénavant profiter aux familles paysannes locales et tout essai avec des OGM devrait cesser. C'étaient justement les essais de Syngenta avec du soja et du maïs transgénique sur ce site, tout près du fameux parc naturel d'Iguaçu, qui avait provoqué la colère et la contestation de la
population locale.
Les occupations
Depuis 2006, le MST avait organisé plusieurs occupations symboliques du lieu pour protester contre l'utilisation illégale des OGM et pour appuyer la condamnation de Syngenta à une amende de 500.000 dollars par l'agence fédérale pour la protection de la nature. Il y a moins d'un an, le 21 octobre 2007, une de ces occupations finissait en bain de sang: 40 membres d'une milice employée par la multinationale bâloise avaient délogé les 200 paysannes et paysans en tirant plus de 300 balles. Deux personnes trouvèrent la mort, cinq furent blessées.
Le procureur du Paraná avait ouvert une procédure judiciaire contre dix membres de l'organisation de «sécurité» NF Segurança, mais aussi contre les membres du MST blessés pendant l'expulsion: ils se seraient mis volontairement en danger et auraient provoqué leurs blessures par leur propre comportement!
Notre ami bâlois, l'avocat Guido Ehrler, a passé dix jours à Curitiba, la capitale du Paranà. Il y a rencontré Gisèle Cassano de Terra de Direitos et résume ainsi ses impressions du procès: «La police a omis de saisir les armes immédiatement après le drame. La scène du crime n'a pas été examinée par les experts en balistique. Maintenant toutes les traces sont effacées. Toutes les personnes impliquées ont été auditionnées. Chacun des dix-huit accusés (dix de NF, sept du MST et un latifundiste) a le droit de faire témoigner six personnes à sa décharge. L'interrogatoire de ces témoins n'a pas encore eu lieu. On ne sait toujours pas s'il y aura ou non un jury et le procès va se prolonger encore des années. Le comble est la plainte contre Selzu, le responsable du MST, pour meurtre de l'homme de NF. Pendant les coups de feu Selzu téléphonait au bureau de Gisèle. La police affirme que les gens du MST n'étaient pas armés. La décision de porter plainte a clairement été prise par le ministère public de Curitiba,»
Le 28 janvier, et dans la gueule du monstre, pour citer Jean Ziegler, une contre-manifestation anti-WEF (Forum Economique Mondial) sera organisée par la Déclaration de Berne et Greenpeace à Davos dans les Alpes suisses. Depuis plusieurs années des multinationales particulièrement antisociales ou néfastes pour l'environnement y sont «récompensées» avec le
Public Eye Award.
Cette année Terra de Direitos et Longo mai ont proposé que Syngenta soit nominée pour cette distinction peu honorable. En effet, même si l'entreprise bâloise a fait un pas dans la bonne direction en rendant le terrain, elle n'a toujours rien fait en faveur des victimes de Santa Tereza.
Celles-ci n'ont à ce jour reçu ni excuses ni dédommagements, malgré les nombreuses tentatives de pression sur Syngenta, aussi bien au Brésil qu'en Europe, la dernière en date étant une deuxième lettre signée par neuf députés bâlois qui demandaient à «leur» entreprise de trouver une solution pour les victimes. Mais jusqu'ici celle-ci n'a pas été plus loin que d'exprimer ses profonds regrets...
Quant aux survivants et aux blessés, Guido Ehrler écrit! «Rien n'a été fait pour les victimes, qui attendent un dédommagement depuis la Suisse. Selon la loi brésilienne, Syngenta est responsable pour les actes de l'entreprise de sécurité qu'elle avait pris sous contrat.
(...) La veuve de Keno qui a deux enfants de 6 et 9 ans est dans une situation financière très difficile. Les médecins de la femme blessée (elle a perdu la vue d'un œil et un de ses bras est paralysé) disent qu'ils ne peuvent plus rien faire. Ils craignent qu'elle ne finisse complètement paralysée parce que la balle est toujours dans son dos. Le tir l'a touchée en position agenouillée, c'était une exécution. Son mari a aussi reçu un tir dans le pied et ne peut plus travailler non plus. La blessure guérit mal (..) et la femme devrait aller à Rio pour se faire examiner par un médecin spécialisé. A ce jour, c'est impossible pour des raisons financières. Nous avons proposé que Gisèle nous communique comment les victimes veulent être dédommagées.»
Le retrait de Syngenta est une importante victoire pour le Mouvement des Sans Terre brésilien, mais nous sommes encore loin de la réparation des torts.
Claude Braun
FCE - Suisse
L'audition desdits témoins débutera le 26 janvier. Mais même si le procès devait durer des années, nous ferons tout pour faire connaître son déroulement en Europe en y envoyant des délégations et en relayant les informations de première main pour nos médias occidentaux. Parce qu'il nous semble inadmissible que la multinationale suisse puisse faire semblant de ne pas être concernée et jouer les innocentes.
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