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22 févr. 2016

GOUVERNEMENTS POPULAIRES EN AMÉRIQUE LATINE : « FIN DE CYCLE » OU NOUVELLE ÉTAPE POLITIQUE ?

https://mouvementsansterre.wordpress.com/2016/01/17/gouvernements-populaires-en-amerique-latine-fin-de-cycle-ou-nouvelle-etape-politique/GOUVERNEMENTS POPULAIRES EN AMÉRIQUE LATINE : « FIN DE CYCLE » OU NOUVELLE ÉTAPE POLITIQUE ?
Isabel Rauber
Quelques intellectuels qui se définissent comme étant de gauche ou de centre gauche, ont affirmé récemment que nous vivons une fin de cycle des gouvernements progressistes, caractérisée par l’épuisement de leurs programmes néo-développementistes – qui incluent l’extractivisme – et leur « inefficace » capacité de gestion. Selon eux, nous devons donc nous attendre à une avancée de la droite dans la région, situation qui dessinerait une nouvelle carte politique en Amérique latine. Avec ce discours « visionnaire », basé sur la connaissance des projets géopolitiques de l’empire pour la région, ces intellectuels ont contribué à installer et à « rendre naturel » dans l’opinion publique l’avènement de la fin des gouvernements populaires et leur remplacement « inévitable » par des gouvernements de droite, en les présentant même comme une « salutaire alternance ». Il convient donc de partager quelques réflexions au sujet de ce diagnostic et de ce jugement.
Le retour critique sur les événements politiques de ces dernières années révèle que les propositions politiques qui ont caractérisé l’action des gouvernements populaires dans la phase post-néolibérale, ont été accomplies. Ceci annonce l’ouverture d’une nouvelle époque, supposant des problématiques et des tâches nouvelles ainsi que de nouveaux sujets et défis. Mais au-delà des tâches et de la programmation des agendas, les premières années des gouvernements populaires ont permis aux peuples d’évoluer à travers toutes sortes  d’apprentissages.
Il est devenu clair –dans les faits- que « gouvernement » et « pouvoir » ne sont pas synonymes, qu’il n’est pas possible de les affronter en même temps ni de la même façon. Les révolutions démocratiques ne sont pas synonymes de la « voie pacifique » d’autrefois. Elles supposent l’approfondissement de conflits politiques comme véhicules de la lutte des classes,  ceux-ci étant fortement liés à une profonde bataille d’idées, tant politique que culturelle.
Il est devenu clair qu’il ne suffit plus de placer « de bons gouvernements » à des postes institutionnels qui répondent au système que l’on cherche à changer.
  • La croissance économique est importante, mais insuffisante. L’éducation politique, la bataille idéologique est centrale. Et elle est liée à la participation politique, à la prise de pouvoir. Personne ne peut autonomiser autrui et moins encore par le haut. L’autonomisation germe dans la participation consciente et active des sujets lors des processus qui transforment la société.
  • La conception de la politique par le haut et discrétionnaire du XXème siècle est épuisée; la niaiserie, le romantisme fade au sujet de la démocratie, la sous-estimation de la politique, et les vieilles modalités de la représentation politique qui supplantent la participation populaire et séparent le politique du social.
  • Fin du maximalisme théorique et du minimalisme pratique de l’extrême-gauche.
  • Fin de l’avant-gardisme, de la pensée libérale de gauche et des pratiques qui en sont issues, et qui isolent les militants de gauche des processus concrets que vivent les peuples, leurs acteurs et leurs dynamiques, en les situant hors des espaces concrets où ont lieu les combats politiques.
DÉFIS FONDAMENTAUX DE CETTE NOUVELLE ÉPOQUE POLITIQUE
Les peuples, les mouvements sociaux et politiques, ainsi que les gouvernements populaires, révolutionnaires et progressistes ont besoin de faire une pause, de rendre compte des réussites, des limites et des nouvelles missions. Il s’agit de cela : retourner aux questions initiales, reconsidérer les réponses qui ont guidé les pas de l’action politique, économique, sociale et culturelle durant plus d’une décennie, tout en se préparant à affronter de nouveaux défis. Parmi eux, je soulignerais les suivants :
Conserver les acquis implique renforcer le processus de changement   
Le retour en force d’oppositions politiques de type néolibéral a mis certains gouvernements sur la défensive. Conserver les acquis est devenu une priorité de l’action politique. Mais ce qui n’a pas été – n’est pas – clarifié c’est que, pour conserver ce qui a été conquis et pour maintenir les processus de changements, il est nécessaire de les renforcer, de les approfondir. Ce n’est pas par des accords entre groupes de pouvoir, ni en cherchant des alliances avec des secteurs opposés aux changements qu’on y parvient; l’exemple du Brésil est plus qu’éloquent à cet égard.
La clé réside dans le fait d’ancrer les processus dans la participation active des citoyens. Une nouvelle époque sociale, politique et culturelle s’est bâtie : ce qui suppose de nouvelles missions dont la réalisation doit se marier avec l’action populaire. Cela implique également de renforcer les processus de conscientisation et d’organisation collective pour revigorer la détermination des peuples à maintenir les acquis et à entraîner le processus vers de plus grandes transformations. Cela ne peut pas être spontané ; si l’on livre les événements à la « spontanéité », ne nous étonnons pas face à l’avènement de substitutions politiques de droite.
L’actuelle conjoncture politique du continent place les gouvernements populaires, les forces progressistes et révolutionnaires face au choix de renforcer les transformations ou de succomber face à elles, s’ils choisissent de les défendre exclusivement « par le haut ».
Ley-de-Medios-Kaloian-34
Argentine, janvier 2016: répression de travailleurs par le gouvernement Macri
La participation active des citoyens est stratégique pour que les gouvernements populaires deviennent aussi une manière de construire ce pouvoir populaire.
Le renforcement de la démocratie requiert d’assumer l’impératif politique décisif du rôle actif du peuple : les transformations relient simultanément les lignes politiques des gouvernements populaires aux différents processus deconstruction et de consolidation du pouvoir par le bas. C’est ce qui constitue le fondement de l’approfondissement des processus de transformation sociale en cours. Le penser comme un simpleaggiornamento de l’agenda public laisse les gouvernements populaires à la merci de la voracité politique des opposants.
Les réalités objectives et subjectives ont changé ; les subjectivités politiques des acteurs qui prennent part aux processus de changement se sont approfondies, il y a une exigence de rôles nouveaux, plus importants. Cette action a besoin aujourd’hui de se réorganiser et de se réarticuler pour constituer de nouvelles convergences dans les actions militantes sociales et politiques, à l’intérieur et à l’extérieur de ce qui est institutionnel, et en actualisant l’horizon stratégique des changements.
Parier sur la construction du rôle collectif des peuples pour qu’ils se constituent en force politico-sociale de libération est le facteur essentiel qui marquera le cap et les dynamiques politiques du présent et du futur immédiat. C’est lui aussi qui conduira à la construction de l’unité des peuples.
Reconnaître la participation populaire organique comme un facteur clé pour la consolidation et l’approfondissement des processus de changement en cours, ne s’oppose pas à la reconnaissance du rôle des leaderships individuels. Mais cela ne signifie pas accepter que la continuité des leaders à la tête des gouvernements populaires soit le facteur qui donne de la stabilité et de la solidité aux processus. Au contraire, lorsque des leaders se substituent au rôle politique des peuples, en réalité, loin d’en garantir la continuité, ils entraînent le processus dans le court terme.
Des peuples sans autonomie et sans conviction propre agiront peu pour renforcer et/ou approfondir des processus s’ils ne les perçoivent pas réellement come les leurs. La distance s’installera silencieusement dans les rangs populaires et ouvrira la voie à de prévisibles défaites. Ce n’est pas une situation en « noir ou blanc » ; il faut beaucoup nuancer. On a souvent vu des organisations populaires faire preuve de davantage de maturité et de responsabilité que leurs dirigeants et, même quand ils ne parviennent pas à éviter des dénouements négatifs, leur présence active dans la rue, les réduisent de façon non négligeable. Les leaders sont importants et dans certains cas, décisifs. Jamais pour remplacer la participation active des peuples, plutôt pour la déclencher et la faire progresser.
Hugo Chavez, exemple de leader charismatique et grand architecte du processus révolutionnaire bolivarien au Venezuela, n’a pas centré ce processus sur sa personne. Pour lui, il était clair que le peuple auto-constitué en tant que sujet révolutionnaire est le véritable créateur, constructeur et support d’un nouveau type de pouvoir en gestation dans les conseils communaux et les communes. C’est avec ces derniers que  la révolution bolivarienne avance vers une nouvelle civilisation, en s’orientant- avec  des citoyens assumant de plus en plus de pouvoirs – vers la construction d’un État communal. C’était si clair pour Chavez que son slogan a été (et restera) « la commune ou rien ».
Ciné-club dans une commune du Venezuela (novembre 2015)
Projets d'agriculture urbaine et jardins dans les écoles primaires (Venezuela, janvier 2016)
Construire un nouveau mode de production et de reproduction (société-nature)
L’une des plus grandes limitations de ce que l’on pourrait définir, sans trop de peine, comme « modèle économique néo-développementiste » c’est qu’il s’ajuste aux cadres du modèle de production capitaliste, et entretient ainsi le cycle de la mort. Ceci contribue à fixer pour cette nouvelle époque une tâche importante : créer et articuler des processus productifs alternatifs existants et promouvoir la recherche de nouvelles bases économiques qui rendent possible la cohérence sociale entre ce cycle de production et la reproduction.
Il s’agit d’élaborer un système productif responsable socialement du cycle reproductif qu’il génère. C’est-á-dire contribuer à la création d’un nouveau mode de production-reproduction sociales respectant une logique circulaire. Ce qui ouvrirait la voie à une nouvelle économie, qui, en plus de répondre avec succès à la question de la lutte contre la faim, la pauvreté, l’analphabétisme et les maladies, constituerait le socle d’un nouveau mode de vie et une nouvelle forme de civilisation, celle du bien vivre et du vivre ensemble.
Sortir de l’étau idéologique, politique, culturel et médiatique du pouvoir hégémonique
  • Déployer la bataille politique culturelle sur tous les terrains et dans toutes les dimensions, en particulier les réseaux sociaux.
  • Veiller au développement de la subjectivité et de la spiritualité des peuples en favorisant l’expression de leur identité, de leurs cultures et cosmovisions…
  • Développer durablement des processus interactifs de formation politique.
  • Ouvrir la voie d’une nouvelle pensée critique latino-américaine, décolonisée, interculturelle, embrassant de nombreuses cosmovisions, s’exprimant dans de multiples voix, et ancrée dans les pratiques des peuples.
  • Promouvoir des processus articulés de décolonisation, d’interculturalité et de rupture avec le cadre patriarcal visant la construction du pouvoir populaire par le bas.
  • Développer un nouveau type d’intellectuel organique, qui découvre, met e lumière et renforce la pensée des peuples dans toute sa diversité, son ampleur et sa richesse.
Travailler au renforcement et au développement de l’articulation régionale, continentale des mouvements et organisations sociales populaires, et, en particulier agrandir et renforcer l’espace des mouvements sociaux dans l’ALBA. Mais également, impulser la création d’espaces de rencontre, d’échange et de coordination des organisations sociales et politiques continentales, régionales et existantes au sein de chaque pays.
Parier sur la création et la construction d’une nouvelle gauche politique, sociale et culturelle
Il est vital de comprendre les nouvelles dimensions du politique, de l’action et de l’organisation politique; vital de souligner l’existence de nouvelles réalités et de nouveaux sujets : les déplacé(e)s de diverses origines, les populations précarisées de manière permanente, les mouvements indigènes, les femmes, les jeunes filles et jeunes hommes, les enfants, les adultes plus âgés, les LGTB…, de consacrer un espace aux identités, cosmovisions, savoirs, sagesses et courants de pensée : les connaissances écologiques, la biopolitique, la bioéthique, le féminisme politique et la rupture avec le patriarcat pour réaliser ainsi une critique radicale du pouvoir du capital…
Construire l’offensive stratégique populaire révolutionnaire
L’une des résultantes les plus récurrentes de la division du camp populaire, et particulièrement parmi la gauche latino-américaine, c’est que les manifestations et les luttes sociales finissent par exister en fonction des intérêts des puissants. Le camp populaire étant marqué par des querelles internes de « pouvoir », par des divisions multicolores de tout type entre les forces politiques et leurs corrélats dans les mouvements sociaux populaires, les conflits sociaux finissent par se subordonner aux stricts intérêts du pouvoir, en le renforçant comme « alternative politique » au lieu de parvenir –collectivement- à subordonner les puissants aux intérêts des citoyens et de passer à l’offensive en proposant un agenda politique des objectifs populaires. Le cas de l’Argentine nous en fournit en exemple très clair, visible tant dans les événements les plus récents que dans la trajectoire historique des gauches.
A cette grande faiblesse politique et culturelle, ajoutons la démagogie d’unepensée binaire (« ceci ou cela », « blanc ou noir »…), le développement de la guerre médiatiquequi vise à conquérir et à anesthésier les esprits du « grand public » sans que les organisations politiques et sociales – occupées par leurs querelles internes – n’assument le travail de la bataille d’idées comme querelle fondamentale des luttes politiques de notre temps.
Le manque de convergence et d’unité des divers acteurs sociaux et politiques, ajoutée au peu de formation politique, à la sectorisation et au corporatisme… met les organisations sociales et politiques des peuples en situation de subordination aux intérêts des puissants. Ceux-ci peuvent les manipuler pour atteindre leurs objectifs, en affaiblissant et en brisant la base sociale des gouvernements populaires pour se regrouper en tant que bloc de pouvoir d’opposition, capable de récupérer son hégémonie. Cette récupération témoigne d’une adaptation des puissants qui, ayant analysé la nouvelle donne politique liée aux gouvernements populaires, chercheront une fois au gouvernement à détruire les bases démocratiques des sociétés pour empêcher tout retour de gouvernements progressistes, populaires ou révolutionnaires sur le continent. Ils ne sont pas seuls pour ce faire; ils comptent sur l’appui impérial, les institutions du pouvoir globalisé du capital et de ses « canonnières » médiatiques locales et globales.
L’arrivée de gouvernements de droite dans la région n’est pas un simple «retour au passé », pas plus qu’il ne répond à une « alternance enrichissante » de gouvernements et de gouvernants. Il s’agit d’une nouvelle phase, d’un virage radical pour articuler les processus locaux aux besoins hégémoniques et logiques du pouvoir global du capital : pillage, domination et mort… Il est important de ne pas le sous-estimer, et de préparer de nouvelles résistances ancrées dans la coordination, l’unité, la participation des secteurs populaires dans toute leur diversité. C’est cela que doit viser le renforcement de la formation sociopolitique et des processus organiques de convergence collective. Avec des objectifs communs s’inscrivant dans la création et la construction collectives d’unnouvel horizon de civilisation.
Visite de l'ex-président Lula à l'école de formation sociopolitique intégrale du Mouvement des Travailleurs Sans Terre et autres mouvements sociaux, Brasil janvier 2015.
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Traduction : Sylvie Carrasco
URL de cet article : http://wp.me/p2ahp2-2aj

16 juin 2010

Étudier la révolution dans la théorie... et dans la pratique : l’École Nationale du MST "Florestán Fernandes".

Une expérience unique de formation

De juillet à novembre 2009, l’École Nationale du Mouvement de Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) "Florestán Fernandes", du Brésil, organise un nouveau cours de formation politique pour les militant(e)s d’organisations populaires de toute l´Amérique Latine. Comme chaque année, des dizaines de membres de mouvements sociaux sont arrivés en autobus ou en avion à Sao Paulo, jusqu’à l’école construite par les militant(e)s du MST pour pouvoir loger et former les membres de Vía Campesina, du « réseau ALBA des mouvements sociaux » et d´autres organisations qui s’articulent sur le plan continental.

15 janv. 2010

Le Mouvement des sans terre violemment attaqué par la droite

Par Ivan du Roy (6 janvier 2010)
Des députés brésiliens viennent de lancer une commission d’enquête sur le Mouvement des sans terre, et tentent de diaboliser ces petits paysans, accusant leurs dirigeants d’être des « agro-terroristes ». Cette offensive en règle marque le début de la campagne présidentielle, dans un contexte où les occupations de terre se multiplient.

4 janv. 2010

De nouveaux défis pour la théologie de la libération

Par François Houtart
La théologie de la libération est une véritable théologie, c’est-à-dire un discours sur Dieu. Elle s’affirme cependant contextuelle, à l’encontre d’une théologie a-historique qui se prétend hors du temps. Ce que l’on pourrait appeler une théologie sur la Lune… Toute théologie est toujours contextuelle. Parce qu’elle est théologie, elle est composée de nombreux chapitres : une ecclésiologie, une christologie, une théologie sacramentaire et liturgique, une théologie morale et une doctrine sociale. Pour la théologie de la libération, le contexte est explicité : c’est celui de la réalité des pauvres et des opprimés, de leurs luttes et de leur vie de foi au sein de ces réalités.

C’est là que l’on trouve Dieu, selon l’option spécifique de Jésus-Christ dans l’Evangile. Quelqu’un a pu dire : ” La théologie de la libération ne se demande pas tellement si Dieu existe, mais où il se trouve ”.

La théologie de la libération s’est développée en Amérique latine, à partir des années 1960, après le Concile Vatican II, et elle a inspiré de nombreuses démarches spirituelles et des engagements sociaux. Nous allons nous limiter à la morale sociale qu’elle développe, car c’est elle qui a sans doute eu la répercussion la plus importante, et qui nous permettra de poser la question de son opportunité dans la situation contemporaine.

1 janv. 2010

Le MST accuse les trois pouvoirs de l’État d’empêcher la Réforme Agraire

C’est l’évaluation que fait Marina dos Santos, une des coordinatrices nationales du Mouvement, dans un entretien avec l’agence Adital.
Dos Santos asure que l’État brésilien a peu avancé dans les politiques en faveur de l’agriculture et que les mesures ponctuelles adoptées n’ont pas été suffisantes pour résoudre les problèmes.
En plus d’exiger des stratégies d’envergure pour l’expropriation des terres improductives qui parsèment le pays, la coordinatrice du MST a dénoncé les persécutions subies par les membres du Mouvement.

30 déc. 2009

Bonnes fêtes...


MST: «Nous continuerons à organiser le peuple pour la lutte»
Entretien avec Joba Alves *

En 2009, le MST (Mouvement des sans-terre) a organisé d’importantes journées de lutte et de mobilisation. Elle devait replacer la Réforme Agraire au centre des préoccupations du gouvernement Lula et de la société. Pour le MST, la démocratisation de l’accès à la terre constitue encore une des possibilités de sortie de crise. Or, le MST s’est affronté à diverses offensives et tentatives de criminalisation de la part de ses ennemis. La politique du gouvernement Lula a abouti à la création d’une Commission Parlementaire Mixte d’Enquête (CPMI) qui est, en fait, dirigée contre la Réforme Agraire. Dans cet entretien, réalisé le 23 décembre 2009, Joba Alves dresse un bilan politique des luttes du MST en 2009 et présente les défis à relever pour l’année 2010. (Réd.)

21 déc. 2009

Mouvement sans terre : une histoire séculaire de la lutte pour la terre

par Douglas Estevam
(21 décembre 2009)
Le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terres du Brésil (MST) célèbre cette année 25 ans d’histoire. Actuellement reconnu comme l’un des plus importants mouvements sociaux des dernières années en Amérique latine, sa simple longévité et l’amplitude de son pouvoir de mobilisation pourraient être interprétées comme un signe de sa force et de sa capacité d’organisation populaire. Le MST compte aujourd’hui plus de 350 000 familles qui ont vu leur situation régularisée suite à des occupations de terres inexploitées, en construisant des campements qui se multiplient au bord des routes, dans de grandes fermes et surfaces inoccupées. Ce sont ces occupations, organisées par le MST, qui ont ainsi assuré aux paysans démunis ou déracinés l’accès à la terre, et marqué profondément l’image politique du Brésil contemporain. Aujourd’hui, les paysans sans-terres, qui pourraient bénéficier d’une politique de réforme agraire, est estimée à quatre millions de familles. Parmi elles, 100 000 vivent dans des campements organisés par le MST.

28 nov. 2009

Mouvement des sans-terre du Brésil : une histoire séculaire de la lutte pour la terre

Introduction

Le Mouvement des travailleurs ruraux sans-terres du Brésil (MST) célèbre cette année 25 ans d’histoire. Actuellement reconnu comme l’un des plus importants mouvements sociaux des dernières années en Amérique latine, sa simple longévité et l’amplitude de son pouvoir de mobilisation pourraient être interprétées comme un signe de sa force et de sa capacité d’organisation populaire. Le MST compte aujourd’hui plus de 350 000 familles qui ont vu leur situation régularisée suite à des occupations de terres inexploitées, en construisant des campements qui se multiplient au bord des routes, dans de grandes fermes et surfaces inoccupées. Ce sont ces occupations, organisées par le MST, qui ont ainsi assuré aux paysans démunis ou déracinés l’accès à la terre, et marqué profondément l’image politique du Brésil contemporain. Aujourd’hui, les paysans sans-terres, qui pourraient bénéficier d’une politique de réforme agraire, est estimée à quatre millions de familles. Parmi elles, 100 000 vivent dans des campements organisés par le MST.

Dans le contexte mondial actuel, caractérisé par une économie internationale basée sur une libéralisation croissante du marché et des finances, l’agriculture n’échappe pas à la norme. L’un des facteurs importants de la crise alimentaire de 2007, qui risque de durer encore des années, a été la spéculation sur les denrées alimentaires. La crise énergétique qui menace le modèle de production et de consommation établi, et le rend insoutenable à l’avenir, attribue à l’agriculture une nouvelle fonction. Ce modèle accroît également une crise environnementale dont les conséquences se font sensiblement sentir depuis quelques années. Ces facteurs dessinent une situation qui donne à la problématique agraire et paysanne une dimension et une signification d’une importance que nous sommes encore en train de découvrir. C’est dans ce contexte que l’on doit analyser l’actuel stade du développement du MST, d’autant plus que le Brésil joue un rôle de premier plan dans une conjoncture économique privilégiant la production de monocultures, notamment la canne à sucre pour la production de l’éthanol, l’eucalyptus, le maïs et le soja.

On analysera ici la formation de la structure agraire au Brésil, le processus de concentration de la terre et l’une de ses conséquences, la création d’une population de sans-terres, avant de voir l’émergence du MST dans ce contexte. Le Brésil est l’un des pays à la plus grande concentration de la propriété foncière au monde : 73,7 % des paysans, petits propriétaires, disposent de 12 % de terres, pendant que 0,8 % des paysans en possèdent à eux seuls 31,7 %.

Antécédents coloniaux L’héritage esclavagiste

Les problèmes liés à l’accès à la propriété foncière au Brésil ne concernent pas seulement les paysans. Parmi ceux qui sont touchés par la concentration foncière et sont fréquemment expropriés de leurs terres, on pourrait citer les communautés d’anciens esclaves – comunidades quilombolas, les populations et les réserves indigènes, ou encore des populations tradionnelles comme les Quebradeiras de Coco de babaçu - un groupe de femmes qui s’occupent de l’exploitation de la noix de coco de babaçu. Une grande partie de ces problèmes trouvent leurs racines dans la période coloniale, dont on retrouve encore aujourd’hui des traces, qui se conjuguent avec le développement des formes les plus modernes de l’économie internationale.

Le premier aménagement du territoire brésilien planifié par la couronne portugaise établissait une division du Brésil en régions appelées « capitaineries », dont le titre d’exploitation était attribué à des Portugais, dans des zones parfois plus vastes que le Portugal même. Ce titre garantissait à ses détenteurs le droit de désigner des autorités administratives, des juges et d’organiser la redistribution des terres. Ce système avait la particularité d’accorder un droit d’utiliser la terre et d’en récolter les profits, de façon héréditaire, mais n’accordait pas de droit de propriété individuelle sur la terre, qui restait propriété de la couronne.

Ce modèle, sauf quelques exceptions, comme la capitainerie de Pernambuco et São Vicente, a complètement échoué économiquement et comme moyen de colonisation du territoire, mais il a jeté les bases du système de production agricole colonial. Celui-ci était centré sur la production à grande échelle, destinée à l’exportation vers le Portugal, et basé sur un régime de travail esclavagiste. Cette production agricole était caractérisée par la monoculture, ayant pour conséquence des problèmes de sous-alimentation. Au point de mettre en danger le processus colonial, et d’obliger la couronne à prendre des mesures spécifiques pour assurer la production alimentaire pour la population de la colonie. L’indépendance du pays, promulguée en 1822, n’a pas changé cette structure foncière, ni les bases de ce modèle de production. Contrairement à la plupart des pays d’Amérique latine qui ont acquis leur indépendance à la même époque et ont institué un régime républicain, le Brésil a conservé la monarchie, la propriété de la terre par la couronne, désormais brésilienne, et la production centrée sur l’esclavage.

L’année 1850 représente à cet égard un moment décisif. L’interdiction par l’Angleterre du trafic d’esclaves a affecté le cœur du système de production brésilien. L’abolition de l’esclavage, défendue par quelques secteurs de la société brésilienne, notamment les républicains, se heurtait encore à une grande résistance de la part des grands propriétaires fonciers. Cette même année, pour faire face à la menace que représentait l’inévitable fin de l’esclavage pour la forme de production alors en cours, le sénateur Vergueiro, grand producteur agricole de São Paulo, a fait promulguer la Lei de Terras N° 601 de 1850, première loi relative à la propriété privée de la terre au Brésil. Cette loi précise, dans son premier article, que « sont interdites les acquisitions de terres devolutas par autre titre que celui d’achat ». Les terres devolutas désignent toutes les terres qui ne sont pas utilisées pour l’exploitation agricole, n’appartiennent pas à des domaines particuliers et qui de ce fait sont dévolues à l’Etat. Toutes les terres n’ayant pas été régularisées comme propriété privé demeuraient ainsi propriété de l’Etat.

Ces terres représentaient une surface énorme à l’époque, étant données les limites de la colonisation et même la faiblesse démographique du pays. Une importante partie des terres du pays étaient inexploitées. En en faisant une propriété de l’Etat, en exigeant qu’elles soient achetées pour qu’elles puissent être occupées, cette loi interdisait aux esclaves qui seraient bientôt en liberté d’accéder ces terres. C’était une forme de privatisation de la terre qui garantissait aux propriétaires privés leurs droits, une main d’œuvre abondante et donc des profits substantiels.

Libérer l’homme Esclavagiser la Terre

Comme le sociologue brésilien José de Souza Martins, on peut interpréter cette loi de 1850 comme une loi ayant « esclavagisé » la terre pour libérer l’homme. Le Brésil est le dernier pays à avoir aboli l’esclavage, en 1888. L’esclave, une fois en liberté, n’avait pas pour autant accès à la terre légalement. Cela n’a pas empêché un intense mouvement d’occupation des terres exploitées les plus éloignées, par des esclaves qui étaient les premiers « sans-terre » à avoir occupé des terrains sans titre juridique reconnu. A ces esclaves s’est jointe une partie de la population brésilienne, des hommes libres, petits paysans pauvres, qui habitaient de petits villages, mais qui n’ont pas pu régulariser leurs terres. C’est aussi à cette époque que naissent les bidonvilles – favelas – du Brésil contemporain. Une partie de cette population a voulu rester près des villes, et a occupé les terres des environs de la même façon, sans l’accord de la couronne. Les études de l’historien Caio Prado Junior indiquent que, sur huit millions d’habitants en 1850, le Brésil comptait 2,5 millions d’esclaves (et 1,5 millions d’Indiens en 1800 selon l’anthropologue Darcy Ribeiro). L’application de la « Loi des Terres » nécessitait une procédure de régularisation à laquelle une énorme partie de la population brésilienne n’était pas préparée. La faiblisse de ces processus de régularisation est à l’origine de litiges qui perdurent encore aujourd’hui. Par exemple, une pratique de falsification de titre de propriété connue par le nom de grilagem au Brésil provient d’une lacune de cette loi. Les grileiros font de faux titre que remontent à l’époque antérieure à la loi de 1850 et demandent à l’Etat de les régulariser. Or, les terres revendiquées sont parfois habitées par des communautés de paysans, d’Indiens ou de descendants d’esclaves. On pourrait en trouver un exemple avec l’actuelle Mesure Provisoire MP 458/09, promulguée en 2009 par le gouvernement brésilien. Cette mesure régularise une surface de 67,4 millions d’hectares (ha) en Amazonie. Parmi ceux qui font les démarches de régularisation auprès de l’Etat, on trouve certes des milliers de paysans qui ne possédaient pas les titres de leur exploitation, mais également des grand propriétaires qui ont occupé d’immenses surfaces tout en établissant de faux titres, puisque ces terres étaient inexploitées. C’est ainsi que, sur 67,4 millions d’ha, 72 % font partie de propriétés de plus de 1 500 ha…

La réforme agraire sous contrôle militaire

L’histoire de la lutte pour la terre au Brésil s’accélère à la fin des années 1950. La question agraire s’impose dans le débat public, allant de l’Eglise catholique conservatrice aux partis de gauche. La « menace communiste » en Amérique latine, dans le contexte de la guerre froide, était associée aux problématiques paysannes et à la mise en œuvre d’une reforme agraire. Programme politiques et théories économiques pointaient la structure agraire comme obstacle au développement du pays. Cette structure était formée par de grandes surfaces nommée latifundios, marquées par un faible développement technique, peu productives, insuffisantes pour nourrir des urbains de plus en plus nombreux. Ce faible développement retenant un grand nombre de travailleurs agricoles, au détriment de l’industrie, et entretenait le système fermé des fazendas, où des paysans étaient soumis à des relations de travail non salariales. Ces facteurs constituaient un obstacle au développement du marché intérieur pour la production industrielle. La fonction de l’agriculture était au centre des programmes politiques de développement et la réforme agraire apparaissait comme une mesure nécessaire pour résoudre une part des obstacles à la modernisation du pays.

Sur la scène politique, la question prenait de l’importance à mesure que se formaient des mouvements paysans inédits, recrutant parmi les nombreux paysans expulsés des fermes où ils travaillaient. Parmi les paysans, on distingue les meeiros, qui payaient la moitié de leur production comme loyer de la terre, les parceiros, qui payaient la location de la terre en produits sur des proportions variées, ou encore les arrendatários, qui payaient en espèces. Différents mouvements paysans, qui se formaient dès la moitié des années 1950, aux propositions spécifiques, se sont rassemblés en 1961, au Congrès National des paysans et travailleurs agricoles. Parmi ces organisations on trouve les Ligas Camponesas, formées et agissant principalement dans la région du Nordeste, l’União Nacional de Lavradores e Trabalhadores Agricolas do Brasil - ULTAB, de caractère syndicale et proche du Parti communiste, ou encore le Movimento Sem Terra - MASTER, qui a mené les premières actions au Sud du pays. Ces organisations dénonçaient l’extrême concentration des terres et proclamaient la devise « La terre à ceux qui la travaillent ».

Le 13 mars 1964, le président João Goulart réalisait à Rio de Janeiro, devant plus de 200 000 personnes, son célèbre meeting de la Central do Brasil, au cours duquel il annonçait la réalisation de la réforme agraire au Brésil. Quelques jours après le pays était victime d’un coup d’Etat. Le nouveau gouvernement militaire interdit toute forme d’organisation sociale, en particulier les syndicats et les mouvements sociaux alors en pleine expansion. Contradictoirement, les militaires ont adopté la Loi n°4504, le document connu par le nom d’Estuto da Terra, la première loi de réforme agraire du pays. Ce document établissait les conditions d’expropriation de terres sous-utilisées et soumettait la propriété de la terre à une fonction sociale, demandait la réalisation d’un cadastre de toutes les terres du pays et, entre autres, créait les institutions responsables de la distribution des terres expropriées. Si le gouvernement militaire a adopté cette loi c’est en partie parce qu’elle permettait la mise en œuvre des orientations des Etats-Unis à travers le programme Alliance pour le Progrès. Cet ensemble de mesures de collaboration économique pour le développement avait pour objectif de faire face à l’influence de la révolution cubaine sur le continent, et d’éviter que les paysans s’allient aux courants révolutionnaires qui faisaient de la question agraire une priorité.

Finalement, la dictature militaire a abouti à une forme de modernisation de l’agriculture sans changement de la structure foncière. Bénéficiant d’importants investissements de l’Etat, la modernisation de l’agriculture s’inscrivait dans le modèle international de la Révolution Verte, basé sur la mécanisation et le recours aux intrants chimiques. Encore une fois, des milliers de paysans ont été expulsés, alimentant l’exode rural et se réfugiant dans les périphéries urbaines.

La formation du MST

Le coup d’Etat avait bloqué un processus considéré comme l’un des plus importants pour la vie démocratique dans l’histoire du pays, basé sur la mobilisation sociale. Le MST, formé à la fin de la dictature au Brésil, reprend cette conception et l’actualise dans un autre contexte et avec sa forme propre. La fin de la dictature était accompagnée d’un renforcement du mouvement social. Le syndicalisme brésilien venait alors de retrouver sa force de mobilisation. La lutte des ouvriers de São Paulo avait occasionné la première vraie fissure au sein du régime dictatorial. Cette lutte des ouvriers s’ajoutait à la forte présence d’une partie de l’Eglise brésilienne, très active socialement et marquée par la Théologie de la Libération. L’Eglise soutenait les luttes des paysans via la « Commission pastorale de la terre », créée en 1975, et intervenait dans les milieux urbains par l’intermédiaire des communautés ecclésiastiques de base qui rassemblaient des centaines de milliers de personnes dans tout le pays. De ce contexte renaissait l’espoir qu’une action collective et massive amène des changements.

Pendant la dictature, avec la modernisation agricole, une nouvelle phase d’occupation de terres avait commencé. Toutefois, en l’absence d’une coordination plus large, leur influence était limitée, laissant les mains libres aux grands propriétaires et à leurs milices privées pour les éliminer. C’est en 1979 qu’un groupe de paysans dans le Sud du pays, a réalisé les premières occupations de terres qui marqueront la naissance du MST, créé officiellement en 1984. Le choix des occupations massives avait pour but notamment de s’opposer à la violence. Ces occupations se font sur des grandes fermes parfois complètement inexploitées, parfois utilisées pour la spéculation, parfois détenues uniquement pour le statut et le pouvoir politique qu’elles confèrent.

La chute de la dictature s’accompagne de l’élaboration d’une nouvelle constitution brésilienne. Le MST et d’autres mouvements et syndicats ont travaillé activement dans ce cadre à la construction des propositions de reforme agraire. Approuvée en 1988, elle instituait que toutes les terres doivent avoir une fonction sociale. Et que les terres inexploitées peuvent être utilisées pour la réforme agraire. Les opposants à cette réforme se sont alors organisés et renforcés, par exemple la União Democrática Ruralista – UDR, qui menait des actions armées contre les pays, la Associação Brasileira de Agrobussiness et la Frente Ampla de Agropecária Brasileira. Ces groupes de pression ont contribué à freiner les avancées de la nouvelle constitution, en garantissant aux grands propriétaires qu’il n’y aurait pas de changement de la structure foncière. Ces organisations ont pu s’appuyer sur une majorité parlementaire pour défendre leurs intérêts. Exemple emblématique : dans l’Etat du Mato Grosso, le gouverneur est le plus grand producteur de soja du pays…

L’organisation au centre du projet En 1984 a lieu la première rencontre nationale du Mouvement des paysans sans-terres, avec des représentants de treize Etats du Brésil. Le Mouvement a développé une organisation solide en relation étroite avec ses formes d’actions, basées sur une large participation. Les occupations se déroulent en famille, les campements constituent un modèle d’auto-organisation, le lieu de création d’une forme de sociabilité centrée sur la coopération, la solidarité et l’émancipation. Les activités y sont coordonnées par secteur comme par exemple l’éducation, la formation, la production, la culture ou la santé.

L’éducation est depuis toujours un secteur fondamental pour le MST, qu’elle concerne l’alphabétisation, la formation technique ou encore la formation politique. Des écoles sont systématiquement construites dans les campements, soit 2 000 écoles ayant accueilli quelque 200 000 enfants. Plus de 50 000 jeunes et adultes ont également suivi des programmes d’alphabétisation. Enfin, un programme spécifique et une dizaine de cours de niveau universitaire ont été développés, en partenariat avec des universités publiques, pour les paysans et les habitants des zones rurales, qu’ils soient membres du MST ou d’autres organisations paysannes liées à Via Campesina. Un projet de réforme agraire ne peut plus, aujourd’hui, se cantonner à la distribution de terres. Il doit intégrer des politiques de production agricole, d’éducation et de protection des droits sociaux, en garantissant à chacun les moyens de vivre en zone rurale.

Dans le domaine de la production agricole, le MST essaie de créer les conditions pour une production biologique, en harmonie avec l’environnement. Il dispose aujourd’hui de 79 coopératives de production, 50 de commercialisation, 28 pour l’assistance technique et quatre en charge de l’octroi de crédits. Des programmes de renforcement des capacités techniques ont été mis en place, tenant compte des spécificités régionales et environnementales du pays. Enfin, un centre de production de semences biologiques fournit les graines aux paysans.

Afin de comprendre les évolutions des rapports sociaux et des contextes politiques, le MST a créé l’Escola Nacional Florestan Fernandes, conçue comme une université populaire des mouvements sociaux, devenue une référence des activités de formation politique développées depuis longtemps par le Mouvement dans des centaines de centres de formation dans tout le pays.

Les défis pour l’avenir

Le processus de concentration de terres et d’expropriation de paysans au Brésil a franchi une nouvelle étape. Aujourd’hui, la production agricole est contrôlée par des groupes industriels qui disposent d’immenses capitaux pour investir dans l’agriculture. L’entreprise brésilienne Cosan, le plus grand producteur de canne à sucre au monde, compte parmi ses actionnaires les entreprises Cargill, Tate & Lyle, Cristal Sev. Contrôlant une surface de plus de 550 000 ha de terre en 2008, l’entreprise a élargi ses actions grâce à l’entreprise Radar Propriedades Agrícolas. Utilisant un système de haute technologie, à l’aide de radars, son objectif est d’acheter un maximum de terres pour les revendre plus tard, en raison de leur valorisation liée à l’augmentation de la production de soja, coton, maïs et eucalyptus.

L’entreprise brésilienne Aracruz Celulose contrôlait à la fin de 2008 plus de 540 000 ha. Ses actionnaires sont la BNDES, banque de développement de l’Etat brésilien, la banque privée Safra, et la société britannique Newark Financial Inc, basée dans le paradis fiscal des Îles vierges. Aracruz Celulose a eu des litiges dans l’Etat de l’Espirito Santo, où elle a été obligée de restituer plus de 13 000 ha à des tribus indigènes. L’entreprise avait « acheté » ces terres à l’aide de faux titres de propriété, établis en fonction des terres non répertoriées au cadastre dès l’époque coloniale.

La concentration des terres se fait aujourd’hui par ces grandes entreprises liées au secteur financier, avec pour armes le capital de banques et de fonds d’investissement. Ce complexe économique utilise la terre pour des monocultures tournées vers l’exportation qui dégradent l’environnement. Le prix des terres augmente sans cesse dans les zones où celles-ci sont les meilleures et les infrastructures les plus développées. Les terres devolutas au Brésil, qui n’avaient pas de titre de propriété, en grand partie inexploitées, auraient dû être utilisées pour la reforme agraire, comme le préconisait la Constitution de 1988, mais elles sont de plus en plus concentrées entre les mains des entreprises de l’agro-business.

Pour faire face à cette situation et développer un mode de production favorable aux paysans, à la société et plus largement à l’équilibre écologique de l’écosystème, le MST est convaincu de la nécessité de renforcer l’organisation sociale. Les changements ne viendront pas de secteurs particuliers de la société, ni des paysans tout seuls mais de l’articulation de l’ensemble des acteurs sociaux, au niveau national et international.

Photographies de Mariana Pessah

Source : http://www.larevolucionvive.org.ve/spip.php?page=article&id_article=823

15 nov. 2009

Brésil: comprendre le mouvement des Sans Terre

De notre point de vue, le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) est le plus important mouvement social du Brésil contemporain. Le MST est né en 1984, à l’initiative de travailleurs ruraux liés à l’Église Catholique. Selon des données de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), organe lié à un ensemble de d’Églises chrétiennes, il existe actuellement, environ 300 mille familles vivant sous des bâches en plastique au bord des routes. Les travailleurs installés dans les campements ne font que révéler le visage militant du cri de justice du MST. Mais si nous approfondissons les statistiques existantes, la situation réelle est beaucoup plus dramatique.

Le Brésil possède 600 millions d’hectares de terre cultivables. Toutefois, 2% de propriétaires ruraux sont propriétaires de 48% des terres cultivables. Des grands propriétaires possèdent des extensions supérieures au territoire de pays comme la Hollande et la Belgique.

Selon l’Atlas Agricole de l’Institut National Colonisation et Réforme agraire (INCRA), « il existe 3.114.898 propriétés rurales enregistrées dans le pays, lesquelles occupent 331.364.012 d’hectares. De ce total, les petites propriétés représentent 62,2 % avec 7,9 % du secteur total des terres. A l’autre extrémité on observe que 2,8 % des propriétés sont des grandes propriétés qui occupent 56,7 % du secteur total ».

Sur la base de cette information, la Commission Pastorale de la Terre conclut : « Malheureusement, le Brésil détient le triste record de la deuxième plus grande concentration de la propriété agricole, dans toute la planète ».

Un tiers de la population brésilienne vit sous la ligne de pauvreté, avec un revenu mensuel inférieur à 60 dollars. Un huitième de la population vit sous la ligne de l’indigence, avec un revenu mensuel inférieur à 30 dollars.

Une grande partie de ces exclus ont été expulsés de la terre :

a) Par la force des grands propriétaires qui étendent leurs domaines ;

b) Suite aux barrages construits sans prêter la moindre attention à ceux qu´on expulse de leurs terres ;

c) Enfin, en raison des extorsions des intérêts bancaires qui transforment le petit propriétaire rural d’hier en un être sans référence et sans horizon, condamné à déambuler dans les rues de la ville, ou à renouer avec le rêve de vivre dans les campements des travailleurs sans terre.

La Confédération Nationale de l’Industrie a mené une enquête sur les sentiments de la population au sujet du MST. Le degré d´acceptation et d´approbation du MST, au sein de l’opinion publique, mérite notre attention :

85% des sondés soutiennent les occupations de terre, réalisées sans violence ni décés ;

94% considèrent juste la lutte du MST pour la réforme agraire ;

77% considèrent le MST comme un mouvement légitime ;

88% disent que le gouvernement devrait confisquer les terres improductives et les redistribuer aux sans-terre.

Les marches du MST, à leur avis, sont des marches de lutte par la Justice, des marches civiques pour le salut national.

Alors que l´exode de la campagne vers la ville surprend dans un pays qui, par son immense extension de terres, possède une vocation agricole, le MST propose la migration de la ville vers la campagne.

Je vois de grandes lignes de poésie dans ce mouvement : migrer de ce qui ôte tout espoir à l’espoir, de l’exclusion à l’inclusion, de la condition d’apatrides et d’abandon social à la condition de constructeurs d´une mère patrie, aimante, pour tous

Oui, nous devons briser l’image fausse qu´on veut coller au MST. Celle d´un ’« ennemi social ». Refuser qu´on fasse passer une lutte légitime, qui doit mériter notre appui et notre sympathie, pour une mutinerie de rebelles.

De la même manière il est bon d´éclaircir cette idée parfois généralisée, selon laquelle la réforme agraire ne ferait que “redistribuer la pauvreté dans les campagnes”. Les faits portent à des conclusions diamétralement opposées.

Le Forum National pour la Réforme agraire et la Justice dans les Campagnes l´a clairement exprimé : « Malgré tous les obstacles, l’agriculture familiale représente aujourd’hui 80% de l’approvisionnement des produits qui composent le panier alimentaire essentiel et emploie presque 90% de la main d’oeuvre dans les campagnes.

« La petite propriété produit un emploi tous les 5 hectares tandis que la grande propriété a besoin de 223 hectares pour produire un emploi. (...) Quand on observe le chômage et la détérioration de la qualité de la vie dans les centres urbains brésiliens, vivre dans les villes est de plus en plus indéfendable. Dans ce contexte, la réforme agraire est l’élément central d’une nouvelle direction pour le développement au Brésil ».

João Baptiste Herkenhoff est enseignant de l’Université Fédérale de Espirito Santo et membre émérite de la Commission Justice et Paix de l’Archevêché de Victoria

Source : Brasil de Fato

Traduction : Thierry Deronne, pour www.larevolucionvive.org.ve

5 nov. 2009

Déçus par Lula, les sans-terre ne lâchent rien

par Lamia Oualalou


Pour une fois, l’orage est bienvenu. La terre si souvent craquelée
sous le soleil du Pará, dans l’Amazonie brésilienne, est devenue
boue. Une aubaine pour le groupe de jeunes membres du
Mouvement des travailleurs ruraux sans terre, plus connu sous
l’abréviation MST. Ils doivent préparer une «mistica », une cérémonie
en l’honneur de ceux qui sont tombés au combat pour la
terre. Nous sommes sur la route d’Eldorado do Carajás, un village
du Pará, là où, le 17 avril 1996, la police militaire a tué à bout
portant dix-neuf paysans sans terre qui réclamaient de meilleures
conditions de vie.

Rescapé, Miguel Pontes, la quarantaine, se souvient : « Les flics
sont arrivés, ils ont commencé à tirer en l’air, nous n’avons pas
bougé, jamais nous n’aurions pensé qu’ils étaient près à nous
tuer. » La troupe fait feu, visant en priorité les jeunes hommes
aux allures de chefs. Miguel s’effondre, une balle dans la jambe.
Malgré le temps, la douleur est intacte. Il s’en tire bien. Hormis
ses dix-neuf compagnons tués, de nombreux blessés ont été
contraints de subir une amputation. La plupart attendent toujours
une indemnisation de la justice. Quant aux donneurs d’ordre de
la hiérarchie politique et policière, ils sont libres. Leurs avocats
ont multiplié les appels en attendant qu’ils atteignent 70 ans, âge
auquel ils ne pourront plus être emprisonnés.

Treize ans plus tard, à Eldorado do Carajás, des adolescents, le
corps enduit de boue, comme surgis de terre, entament la cérémonie,
sur les lieux de la fusillade, là où la route fait un «S».
Ils investissent une arène faite de dix-neuf troncs de châtaigniers
brûlés. C’est un artiste qui les a récupérés, usant de leur force
symbolique. En théorie, il est interdit de couper cet arbre, représentatif
de cette région d’Amazonie. Les éleveurs et grands
propriétaires détournent la loi en brûlant la terre. Le châtaignier
reste debout, mais meurt. Il n’est plus qu’une carcasse dans le
paysage. Au bout de quelques minutes, d’autres jeunes paysans
entrent en scène, une rose rouge à la main. Ensemble, ils se recueillent,
avant de déclamer : «Les puissants peuvent tuer une,
deux, même dix roses, mais ils ne peuvent empêcher l’arrivée du
printemps .» Une métaphore limpide pour assurer que les sans-
terre continueront la lutte. Ensemble, les jeunes plantent dix-neuf
arbres, un pour chaque victime, comme un pari sur l’avenir.

En 1996, le massacre d’Eldorado do Carajás a fait l’effet d’une
bombe, donnant un visage, dans le monde entier, aux sans-terre
brésiliens. Le mouvement était né douze ans auparavant, à Sarandí,
dans le Rio Grande do Sul, l’Etat le plus au sud du
pays, connu pour sa tradition sociale ? c’est sa capitale, Porto
Alegre, qui accueille en 2001 le premier Forum social mondial.
A l’époque, à la veille du rétablissement de la démocratie, les oc


cupations de terre par des paysans sont fréquentes, mais isolées.
Les militants de la Commission pastorale de la Terre (CPT), une
aile progressiste de l’Eglise catholique, commencent à organiser
cette main-d’oeuvre rurale. Ils sont influencés par le mouvement
ouvrier qui a donné naissance en 1980 au Parti des travailleurs
(PT) ? la formation de Lula ? et, trois ans plus tard, à la Confédération
unique des travailleurs (CUT), aujourd’hui la principale
centrale syndicale du pays.

Un prête-nom possède des terres de la surface du Portugal

«Notre objectif était clair », se souvient João Pedro Stedile, principal
porte-parole d’un mouvement qui se targue toutefois de
n’avoir ni chef, ni hiérarchie : «Créer un mouvement de masse
au niveau national, qui puisse se battre pour la réforme agraire,
et pour une société plus juste et égalitaire. »

La revendication prend. Le Brésil est l’exemple le plus caricatural,
en Amérique latine, de la concentration foncière. En 1985,
date du dernier recensement agricole, 35.000 familles (1% de
la population) détenaient 44% de la terre cultivable du pays.
Ces «latifundios », sont le plus souvent acquis de façon illégale,
confisqués par des puissants locaux qui falsifient les titres de propriété.
On appelle ces faussaires les «grileiros », parce qu’à l’origine,
ils contrefaisaient les documents en les plaçant un temps
dans une boîte pleine de grillons. Le papier en sortait taché et grignoté,
témoignage des décennies passées dans un coffre familial.
Il se trouvait toujours un juge pour en reconnaître l’authenticité.

Dans l’Etat du Pará, justement, un certain Carlos Medeiros (numéro
de carte d’identité : 92093-Spp/PA) est ainsi propriétaire,
depuis les années 1970, de 9 millions d’hectares ? la surface du
Portugal. Un héritage de deux cultivateurs portugais, prétendent
ses avocats. L’ennui, c’est que Carlos Medeiros n’a jamais existé.
C’est un prête-nom qui permet à une poignée de propriétaires locaux
de s’approprier la terre publique.

C’est ce type de terres que cible le mouvement des sans-terre. «Ils
choisissent toujours des terres, prétendues privées, mais qui sont
en fait volées à l’Etat, avec la complicité des politiques et des
magistrats locaux, eux-mêmes grands propriétaires », explique
Jean-Pierre Leroy, un Français installé depuis trente ans au Brésil
et qui travaille sur la préservation de l’Amazonie au sein de
l’ONG Fase.

La méthode du MST est toujours la même. Investir une terre qui
devrait faire l’objet d’expropriation par l’Etat, soit parce que son
titre est falsifié, soit parce que la productivité est très basse, et
l’occuper. Les familles montent alors un campement («acampa
mento », dans le vocabulaire du mouvement), qui, lorsqu’il n’est
pas délogé, peut durer plusieurs années jusqu’à l’attribution d’un
titre de propriété. Il se transforme alors en «assentamento », ensemble
de terres cultivées de façon collective, par le biais de coopératives.
Ils le payent cher. Tombés sous les balles de la police
ou le plus souvent de tueurs à gage, plus de 1800 militants de la
réforme agraire sont morts ces trente dernières années. Pratiquement
aucun cas n’a été résolu par la justice.

La principale originalité du mouvement est sa structure, ni parti,
ni syndicat, fondé sur le noyau familial ? c’est un couple qui apparaît
sur le drapeau rouge ? et sa capacité, contrairement aux autres
collectifs paysans, à s’allier à des groupes progressistes citadins
et ouvriers. Le Parti des travailleurs (PT) a ainsi fait de la réforme
agraire, pourtant étrangère à sa nature, une de ses principales revendications.
«L’élément le plus intéressant du MST, c’est son
pari sur l’éducation, de l’alphabétisation à la prise de conscience
d’une société de classes », estime Ariovaldo Umbelino, professeur
à l’Université de São Paulo (USP) et spécialiste reconnu des
questions de réforme agraire.

Le MST, la principale référence sociale du continent

Dans une société dépolitisée depuis l’établissement de la dictature
(1964-1985), où la télévision cultive l’apathie des masses, le MST
tranche en disséminant une culture anti-hégémonique. Il monte
des centaines d’écoles itinérantes qui permettent à plus de 75.000
enfants des paysans sans terre d’être scolarisés. En 2005, il ouvre
sa première université, à une heure de São Paulo, à l’attention de
tous les Latino-Américains. Tous les matins, dans les 23 Etats (sur
26) dans lequel le mouvement est implanté, ses 450.000 membres
revendiqués entament une liturgie, la «mistica ». Comme à Eldorado
do Carajás, ils célèbrent les héros des luttes populaires ? Che
Guevara, Chico Mendes, et d’autres dont la renommée n’a pas dépassé
la ville d’origine ? à travers chants et mises en scène. Pour
le regard étranger, la cérémonie frise souvent le ridicule, mais elle
est perçue comme le ciment de l’identité.

Le MST est devenu la principale référence sociale du continent
sud-américain, à travers son bras international, Via Campesina.
Il envoie des volontaires d’Equateur à Haïti, et il est le principal
producteur de semences biologiques d’Amérique latine. «C’est

qu’avec le temps, le combat pour la terre s’est transformé en combat
contre l’agrobusiness », explique João Pedro Stedile.

En décidant de ne pas seulement tenir tête aux caciques locaux
mais également aux Cargill et autres Monsanto, le mouvement a
vu surgir d’autres ennemis. Au sein même du gouvernement Lula,
pour lequel le groupe a fait campagne en 2002 puis en 2006, plusieurs
ministres jugent la question de la réforme agraire «dépassée
». Les grands groupes agricoles ne sont-ils pas les principaux
exportateurs du pays ? «Malgré ses promesses, Lula a totalement
gelé la réforme agraire », dénonce Ariovaldo Umbelino. En 2007,
moins de 6000 familles ont bénéficié d’exploitations expropriées,
un chiffre ridicule à l’échelle des 60 millions d’hectares de surface
agricole du pays.

Un quart de siècle après sa naissance, le mouvement peine à définir
sa position politique. Déçus par Lula, ses principaux porte-
parole se refusent toutefois à passer de la critique au divorce. Ils
reconnaissent que, depuis que l’ex-métallurgiste est au pouvoir,
l’Etat fédéral a cessé de les traiter en délinquants susceptibles
d’être attaqués par la police ou poursuivis en justice ? plus de 600
procès ont été intentés au MST depuis 1984. La campagne dont
il fait l’objet dans l’Etat du Rio Grande, géré par le PSDB, principal
parti d’opposition ? de centre droit ? rappelle à ceux qui les
auraient oubliées les différences avec un passé pas si lointain. La
gouverneure, Yeda Crusius, n’a pas hésité à recourir aux lois de
la dictature pour poursuivre, au nom de la «sécurité intérieure »,
ses leaders locaux, et vient d’ordonner la fermeture des écoles du
mouvement, les déclarant «illégales ».

Le MST veut croire qu’il tiendra tête. «L’inflation du prix des aliments,
à la mi-2008, a démontré que la grande propriété agricole
n’était pas la solution de la souveraineté alimentaire », assure
João Pedro Stedile. Avec la crise mondiale, c’est, veut-il l’espérer,
tout le système économique qui doit être repensé.

9 sept. 2009

Au Brésil, un travailleur sans terre exécuté, un de plus

25 Août 2009 Par Lamia Oualalou

Le Rio Grande do Sul se targue d’une tradition « européenne », nourrie par ses descendants d’Allemands, d’Italiens et autres Européens de l’Est. C’est aussi, du fait de sa richesse agricole, une des terres les plus meurtrières pour les dirigeants des mouvements sociaux, en particulier le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). La confrontation entre les autorités locales, qui sont le plus souvent liées (pour ne pas dire désignées ou achetées) aux grands propriétaires de latifundio de l’Etat. Mais depuis l’élection de Yeda Crusius à la tête de l’Etat en 2006, la criminalisation des mouvements sociaux est devenue une politique assumée.

Le MST vient d’en faire une nouvelle fois l’amère expérience avec l’exécution de Elton Brum, un agriculteur de 44 ans père de deux enfants. Avec plusieurs autres compagnons, ils occupaient la Fazenda Southall, à São Gabriel. C’est la brigade militaire du Rio Grande do Sul, sous les ordres de Yeda, qui a provoqué sa mort, blessant des dizaines d’autres personnes, dont des femmes et des enfants. Comme à l’accoutumée, la Brigade militaire a prétendu la légitime défense face à des militants présentés au reste du Brésil comme des sauvages. Mais le MST vient de diffuser les photos du corps d’Elton Brum, prises à l’hôpital. Il a été tué de tirs dans le dos, provenant d’une carabine à proximité du corps. Tous les indices d’une exécution.

Yeda Crusius, par ailleurs poursuivie pour corruption, a réhabilité des textes de la dictature, en particulier celui de faire suivre et mettre sous écoute des leaders de mouvements sociaux nom de la loi de « sécurité nationale ». C’est une violation de la constitution. A ce titre le MST est poursuivi par la justice comme s’il s’agissait d’une organisation paramilitaire rappelant qu’il était impossible d’assimiler les sans-terre à des terroristes. Mais le Brésil est un pays fédéral, y compris sur les questions judiciaires. Toutes les réunions des militants sont dispersées, et plusieurs de leurs campements ont été détruits par la police militaire, laissant des centaines de familles sans ressources. L’Etat a également ordonné la fermeture de leurs écoles, estimant que les enfants des sans terre devaient se rendre dans les mêmes établissements publics que tous les autres. Etant données les distances et l’absence de moyens de transport, cela signifie priver ces enfants d’accès à l’enseignement.

Le MST est aujourd’hui le principal critique de la présence des multinationales dans l’agriculture violant plusieurs lois et imposant la monoculture. Ces entreprises, qui ont contribué au financement de la campagne de Yeda Crusius, font la pluie et le beau temps dans le système judiciaire local. Plusieurs autres états sont tentés de criminaliser de la sorte les militants en faveurs des droits sociaux. Le MST tire la sonnette d’alarme, pour que Elton et les autres ne soient pas morts pour rien.

11 août 2009

Brésil: 3.000 Sans Terre protestent

Trois mille paysans sans terre venus de tout le Brésil camperont à partir de lundi à Brasilia pour faire pression sur le gouvernement afin qu'il accélère la réforme agraire, a indiqué aujourd’hui une responsable du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).

"Du 10 au 20 août, nous ferons des actions pacifiques, comme des grandes marches, pour que le gouvernement accélère la réforme agraire alors que 150.000 familles vivent encore dans des campements précaires", a déclaré la coordinatrice nationale du MST, Marina dos Santos, lors d'une conférence de presse à Rio.

A l’approche de l’élection présidentielle de 2010, le MST dénonce le modèle agricole en vigueur dans le pays. Selon Marina dos Santos, ce modèle "favorise l'agrobusiness", qui engendre de colossales exportations agricoles, "au détriment de l'agriculture familiale de production d'aliments sans pesticides".

Depuis sa création en 1984, MST a obtenu un lopin pour 370.000 familles dans ce pays champion des inégalités sociales.

20 juil. 2009

João Pedro Stedile (les «sans-terre»): «Lula ne veut pas affronter les grands propriétaires terriens»

13 Juillet 2009
Par Lamia Oualalou


Le chef du file du mouvement des paysans sans terre (MST) brésilien m’a accordé une interview pour témoigner du mécontentement des siens à l’encontre de la politique du président Luiz Inacio da Silva sur la question de la réforme agraire. João Pedro Stedile fait également l’autocritique des mouvements sociaux, qui peinent à trouver une position par rapport à un gouvernement qui leur reste malgré tout plus favorable que les précédents.

C’est un débat capital à l’approche de l’élection présidentielle (octobre 2010) à laquelle Lula ne peut se présenter. Au Brésil, la loi constitutionnelle n'autorise pas deux mandats consécutifs. Une interview à lire en complément du reportage que j’ai effectué dans l’Etat du Para, publié ce week-end par Mediapart (accès abonnés seulement) http://www.mediapart.fr/journal/international/070709/decus-par-lula-les-sans-terre-ne-lachent-rien

Quel bilan fait le MST de la réforme agraire au cours des mandats du président Lula? Y a-t-il une différence entre sa politique et celle de son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso ?

Les comparaisons entre les deux gouvernements n’ont pas beaucoup de sens. Nous n'attendions rien du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso. Nous savions que l'alliance de son parti PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne, centre-droit) et le PFL (aujourd'hui baptisé démocrate, héritier des partis de la dictature) avait pour objectif de mettre en œuvre les politiques néolibérales dans notre pays.

En revanche, le gouvernement Lula a été porteur d'une très forte espérance aux yeux des mouvements sociaux. Aussi, en optant pour la continuité en termes de politique économique, Lula a suscité la déception et la frustration au sein de ces mouvements. Il ne fait aucun doute que la réforme agraire est le parent pauvre du gouvernement Lula. Les résultats sont même inférieurs à l’époque de Cardoso. La première année de son mandat, Lula a créé une commission spéciale chargée d'élaborer un plan national pour la réforme agraire. Même ce plan a d’abord commencé à être retouché, puis complètement abandonné.

De cette façon, le gouvernement a donné le signe, politiquement, qu’il ne voulait pas affronter les grands propriétaires terriens, ni mettre en place la réforme agraire « d’un coup de crayon », comme Lula le promettait durant ses campagnes. Pire, le complexe agro-industriel, qui à nos yeux est incompatible avec une politique de réforme agraire et l’encouragement d’une agriculture familiale, a reçu un soutien politique et économique total du gouvernement.

Néanmoins, il faut reconnaître que gouvernement Lula a beaucoup plus investi dans les politiques publiques en faveur des familles installées dans le cadre de la réforme agraire. Je veux parler de l'énergie, des routes, et de l'assistance technique. Nous avons maintenu notre autonomie à l’égard du gouvernement, mais nous avons une meilleure relation politique qu’à l’époque de Cardoso, sans être criminalisés comme nous l’étions.

Combien de familles attendent encore dans les campements du MST ? Et combien ont bénéficié de la réforme agraire ?

Actuellement, on compte environ 120.000 familles dans nos campements, en l’attente de terre. La plupart sont dans le Sud et le Nordeste, et attendent depuis environ quatre ans dans ces conditions. Selon l'INCRA, quelques 900 000 familles ont bénéficié de la réforme agraire, en prenant en compte les familles qui s’inséraient dans les projets de colonisation de l'Amazonie et les programmes de la régularisation foncière. Sur ce total, 380 000 familles font partie de notre mouvement.

Le mandat de Fernando Henrique Cardoso a été marqué par une criminalisation des mouvements sociaux et en particulier des sans-terres. La situation a-t-elle changé sous Lula ?

De fait, le gouvernement Lula n’a jamais criminalisé les mouvements sociaux, mais cela ne veut pas dire que la situation s’est arrangée. Les agents de la répression se sont déplacés vers d'autres espaces. Jamais les médias n’ont été aussi violents à l’égard des mouvements sociaux qu’actuellement. Ils sont devenus les véritables porte-parole de la droite et des forces conservatrices de notre pays.

En criminalisant les mouvements sociaux dans leurs journaux ou à la télévision, ils justifient aux yeux de la société la violence à l’encontre des luttes sociales.

Une partie du pouvoir judiciaire, qui regrette les gouvernements antérieurs à celui de Lula, et dont le principal représentant est Gilmar Mendes, l’actuel président du Tribunal Suprême fédéral a pris le même parti. Enfin, la criminalisation des mouvements sociaux s’est étendue au sein de certains gouvernements d’Etats, tels celui de la gouverneure Yeda Crusius (PSDB), dans le Rio Grande do Sul. Avec leurs politiques répressives, et le soutien des médias, ils prétendent encourager la répression des mouvements sociaux au niveau national.

Surtout la criminalité et la violence contre les mouvements sociaux est le résultat d'une énorme inégalité sociale structurelle, politique et économique dans notre pays. Et de ce point de vue, Lula n’a pas fait avancer les choses. L’allocation sociale « Bolsa Familia » est importante et nécessaire pour atténuer les effets immédiats de la pauvreté. Mais elle est insuffisante pour faire face à la question de la concentration des revenus et des richesses dans les mains d'une infime minorité de la population. Le résultat est que, même avec « Bolsa Familia », la violence continue de croître dans tout le pays, à la campagne comme en ville.

Comment qualifiez-vous l’attitude du Tribunal Suprême électoral à l’encontre de votre mouvement ?

Historiquement, le pouvoir judiciaire a toujours été conservateur, aligné sur les intérêts contraires à la lutte pour la réforme agraire et fidèle aux élites brésiliennes qui, selon le sociologue Florestan Fernandes, sont antinationales, antidémocratique et antisociales. Mais cela n'empêche pas qu'il existait une partie de la magistrature qui s’identifient aux les aspirations des mouvements sociaux et à la défense des intérêts de notre pays.

Ce cadre n’a pas changé. La seule différence est que l'actuel président du Tribunal, utilisant l’importance de son poste, cherche à faire connaître ses positions très à droite pour occuper l’espace politiquement, ce qui est très choquant aux yeux de tous ceux qui soutiennent le système républicain.

L’allocation sociale « Bolsa Familia », vient d'être étendue aux familles des campements du MST – auparavant ils ne pouvaient en bénéficier faute d’adresse fixe. Quel est l’impact de cette mesure dans les campements ?

L’allocation « Bolsa Familia » est importante et nécessaire à ce moment. Grâce à cette politique sociale, les familles qui souffraient de la faim ont aujourd'hui assez à manger. La pauvreté, provoquée par une politique de l'élite brésilienne depuis 500 ans relègue notre pays à une condition de colonie des capitaux internationaux. Dans ce contexte, la politique d'assistance est extrêmement nécessaire.

Mais à moyen et long terme, nous ne pouvons pas nous contenter d'une politique d’assistance. Il faut mettre en place une politique économique qui favorise la distribution de la richesse produite et garantisse la souveraineté nationale de notre pays.

Ce n’est pas « Bolsa Família » qui est responsable de la réduction du nombre de familles dans les campements. Ce qui provoque leur découragement, c’est l’absence de décision politique sur la question de la réforme agraire, et de la priorité à l'agriculture familiale. Sans une politique claire et courageuse, la tendance des familles est de se contenter des politiques d’assistance ou d’abandonner la campagne pour venir grossir la cohorte de pauvres dans les banlieues des villes.

Comment qualifiez-vous l’actuelle politique économique du Brésil ?

Cette politique économique a des effets très nocifs pour notre nation, dans la mesure où le gouvernement Lula a simplement perpétué le modèle de Cardoso. Les bénéfices astronomiques des banques sont le symbole des erreurs de cette politique. L'hégémonie des politiques néolibérales - responsable de cette grave crise mondiale - a accentué la concentration de la richesse et par conséquent, l'inégalité sociale, en provoquant une destruction de l'environnement sans précédent.

Le Brésil a été frappé par la crise comme le reste du monde. Mais ici, du fait des gigantesques inégalités, les effets sont encore plus pervers. Cela se reflète au niveau du chômage, de la violence urbaine, du nombre croissant de sans-domicile fixe, et d’absence de perspectives pour la jeunesse. A la campagne, la subordination des intérêts de notre agriculture au modèle agro-industriel (dans lequel les décideurs sont les banques, les multinationales et les grands propriétaires terriens), contribue à dénationaliser notre agriculture. Cela a provoqué un appauvrissement des services publics d'assistance technique et de recherche, en introduisant une logique de production, basée uniquement sur la maximisation des profits, avec des effets désastreux pour l'environnement et la santé de la population.

Le modèle agro-industriel n'est pas viable en tant que modèle de production alimentaire et de la préservation de l'environnement. Nous avons besoin d'un autre modèle d'agriculture, basé sur la production familiale et écologique, avec comme priorité de récupération les terres dégradées et d’augmenter la valeur ajoutée sur le terrain pour générer une hausse des revenus à la campagne.

Estimez-vous que les grands propriétaires terriens aient gagné la bataille d’influence au sein du gouvernement ?

Les grands propriétaires qui forment le complexe de l'agro-industriel, liés au capital financier et aux multinationales constituent l'ennemi principal de la réforme agraire aujourd'hui. Et ils ont remporté d’importantes victoires, en bénéficiant de la connivence du gouvernement. La libération des semences transgéniques, le refus d’actualiser l'indice de la productivité agricole, les soutiens à la monoculture - notamment la plantation d'eucalyptus, de canne à sucre et de soja - sont autant d’exemples de ces victoires. Maintenant, ils veulent s’en prendre à l'Amazonie, comme en témoigne de dangereux changements dans le Code forestier adoptés à l’Assemblée.

Que pensez-vous de la politique de promotion des biocombustibles, que ce soit au Brésil ou en coopération avec d’autres pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique centrale ?

Le MST, tout comme les membres de Via Campesina au Brésil et de Via Campesina international, désapprouve cette politique. Les biocombustibles sont directement liés aux grands groupes du complexe agro-industriel et à la monoculture extensible. C’est un modèle qui n’est pas bon pour le Brésil et, par conséquent, ne convient pas non plus aux agriculteurs dans les pays où le gouvernement brésilien cherche à l’implanter.

Le problème central des pays de l'hémisphère sud est la faim. Ce que souhaitent les agriculteurs, c’est d’être en condition de produire de la nourriture en quantité et de qualité. C’est pourquoi non plaidons pour des politiques qui garantissent la souveraineté alimentaire de chaque pays. C'est-à-dire, le droit de chaque nation à produire ses aliments. Avant de nous rétorquer que c'est une idée simpliste et naïve, je vous rappelle que la crise alimentaire mondiale, qui a eu lieu il y a moins de deux ans et qui n’est pas encore résolue, est là pour démontrer la justesse de nos propositions.

Que pensez-vous de la politique du gouvernement sur la question de l’environnement ?

Là encore, la libération de la plantation de produits transgéniques, l'incitation à monoculture extensive, tout comme la loi qui vise à régulariser les occupations illégales de la terre dans la forêt amazonienne et la flexibilisation du code forestier, si elles sont approuvées, ont des conséquences désastreuses pour l'environnement. On en ressent déjà les effets dans notre pays, et dans l'ensemble de la planète. Cela, sans parler de l'impunité à l’égard des crimes contre l’environnement commis par les grands exploitants de bois, l’industrie de pâte à papier et les compagnies minières.

On vous rétorquera que les petits agriculteurs ne sont pas plus intéressés par la défense de l’environnement, certains contribuant même à la déforestation...

De façon générale, les petits propriétaires terriens sont, de façon naturelle, e, faveur de la préservation de l'environnement. Ils vivent dans leur propriété, ce qui est rarement le cas des grands propriétaires, ce qui en fait les principaux intéressés à prendre soin les sources d'eau, la qualité de l'eau des rivières et la forêt. Il est faut de penser qu’ils n’ont pas de conscience environnementale. C’est une image répandue dont l’objectif est de discréditer la lutte pour la réforme agraire aux yeux de la société, et de dissimuler les véritables responsables des crimes contre l'environnement, que sont le complexe agro-industriel, les entreprises de bois et l'exploitation minière.

La déforestation dans les petites propriétés est provoquée pour l'essentiel par un facteur économique. Face à la baisse de leurs revenus, la tendance des petits paysans est d'étendre la zone de production. L’autre cas de figure est quand cette petite propriété est incorporée au complexe agro-industriel, qu’il s’agisse d'élevage, de pâte à papier, ou de la canne à sucre pour produire de l'alcool. La position du MST est claire. Depuis l'origine de notre lutte, nous nous prononçons en faveur de la défense de l'environnement.Lorsque le gouvernement de la dictature militaire, au lieu de faire une réforme agraire, optait pour une politique de colonisation dans l'Amazonie, nous étions contre, et nous exigions que les sans-terres soient installés dans leurs Etats d'origine.

Aujourd'hui, quand le gouvernement décide d’exproprier une terre en faveur des sans-terres, le propriétaire lance une politique de la terre brûlée, en vendant tout le bois à des entreprises avant de remettre la terre aux petits paysans. Pour ces familles, le défi est de récupérer ces surfaces. Il y a aussi un travail d’éducation dans nos écoles à la préservation de l'environnement. Enfin, nous essayons de donner les conditions techniques aux familles pour qu’elles produisent de manière agro-écologique, en assurant la production d'aliments sains et respectueux de l'environnement.

Sept années après l’élection de Lula, quelle est la situation des mouvements sociaux ?

Il y a deux éléments de réponse. Tout d'abord, il faut prendre en compte la nature du gouvernement Lula. C'est une équipe au spectre large, qui va de la gauche au centre droit. De ce fait, le gouvernement a opté pour une politique de conciliation de classes, ce qui place les mouvements sociaux et populaires dans une situation très complexe. Nous pensions que la mobilisation populaire qui a fait de Lula le grand leader de la classe ouvrière allait, grâce aux victoires électorales de 2002 et de 2006 donner plus de forces aux mouvements sociaux, contribuant à une redistribution du revenu et un approfondissement de la démocratie dans notre pays.

Nous espérions également que la victoire électorale de Lula encouragerait les masses à investir la rue, donnant ainsi les conditions au gouvernement pour effectuer les changements revendiqué historiquement par la classe ouvrière. Cela ne s'est pas fait. Pire, la capacité d’améliorer la situation des plus pauvres s’est trouvée incarnée par la personne de Lula, et non pas dans le pouvoir des masses. Ensuite, nous devons faire notre autocritique. Une bonne partie des mouvements sociaux a confondu la nécessité de défendre le gouvernement contre les attaques de la droite avec la perte de l'autonomie de leur organisation. Plusieurs figures clefs ont abandonné le travail syndical et de mobilisation populaire pour se consacrer à l'activité parlementaire ou au sein du gouvernement. Cela nous a affaiblis d’un point de vue social et institutionnel.

Une autre partie des mouvements sociaux et syndicaux ont fait une autre lecture, selon nous, erronée. Celle de traiter le gouvernement actuel comme un ennemi de classe. Pour notre part, nous ne considérons pas que ce soit le cas, mais nous devons maintenir notre autonomie politique pour organisation la mobilisation populaire. C’est la seule façon d'obtenir la réalisation des revendications de la classe ouvrière. Actuellement, la gauche est donc divisée, et nous avons négligé le travail de base, tout comme la formation de cadres politiques en faveur des luttes sociales.

En 2006, le MST était déjà bien critique de la politique du gouvernement, mais il a soutenu la réélection de Lula. Qu’en sera-t-il en 2010 ? Allez-vous appuyer la campagne de sa candidate Dilma Roussef, ou prendre le risque que la droite gagne ?

Nous voulons échapper au piège du calendrier électoral. C’est une logique qui restreint la participation des personnes en politique aux périodes électorales. Nous revendiquons le droit à faire de la politique en dehors du calendrier électoral, ce qui va au-delà du choix de tel ou tel candidat.

C’est pour cela que nous sommes un mouvement qui organise le peuple en faveur de la réforme agraire, et que nous participons, avec d'autres organisations sociales, étudiantes, syndicales et religieuses, à la lutte pour construire un projet populaire de développement économique et de défense de la souveraineté nationale de notre pays.

Telle est notre tâche en ce moment. Perdre du temps à discuter des candidats pour une élection qui aura lieu dans quinze mois n’aide en rien notre lutte. Nous n’avons pas encore mis ce débat sur la table avec notre base sociale. Nous concentrons tous nos efforts pour relever les défis d'élever la conscience politique de la population brésilienne et construire l'unité des forces progressistes de notre pays.

12 juin 2009

Douglas Estevam, avec les sans-terre brésiliens

Par Frères des Hommes (www.fdh.org)
Douglas Estevam, avec les sans-terre brésiliens

Il arrive dynamique, souriant, toujours ; un peu gêné peut-être ce soir-là, car moins à l’aise pour un portrait que pour une conférence… Douglas Estevam a aujourd’hui 31 ans. Il représente depuis maintenant plus d’un an en France le Mouvement des sans-terre brésilien (MST), partenaire de Frères des Hommes. Des bidonvilles de São Paulo à Paris, retour sur le parcours mouvementé de ce jeune homme engagé.


Les parents de Douglas étaient paysans. Ils ont du quitter leur terre lorsqu’ils en ont été expulsés et partir tenter leur chance à la ville. Né à São Paulo, il a cependant « été élevé dans un esprit encore paysan », avec comme valeurs l’hospitalité ou la solidarité. En 1992, quand il a 14 ans, le Brésil est en plein bouleversement. Fernando Collor, alors président et responsable d’une libéralisation accélérée du pays, est accusé de corruption. Une grande partie du peuple demande sa démission. « J’ai participé aux grèves en tant qu’ouvrier et aux grandes manifestations en tant qu’étudiant », se souvient Douglas, un sourire aux lèvres. Il découvre alors le milieu syndical et les partis politiques, mais n’a pas encore le déclic. « Je n’y ai jamais adhéré », tient-il à souligner.

Il milite ensuite dans une association d’aide aux sans-toit, et suit une formation dispensée par le MST. La première rencontre avec le mouvement est fructueuse et il participe dans la foulée à un séminaire international contre la zone économique américaine de libre-échange. Cela marque le début de son parcours au sein du MST. « Je suis entré dans le mouvement principalement pour des raisons politiques », précise-t-il. Il a été séduit par la forme d’organisation collective et participative, dans la diversité : jeunes, vieux, femmes, hommes, tous agissent dans un mouvement qui réunit aujourd’hui plus de 450 000 familles. De plus, le MST, outre ses revendications sociales et politiques, développe au fil du temps un projet de société qui se met doucement en place. Une orientation qui lui plait : « par exemple, des secteurs comme la culture ou le genre ont pris une importance de plus en plus grande alors qu’ils ne sont pas directement reliés à l’accès à la terre. Ce modèle de société, fondé sur une pensée collective, moins dépendant de l’économie de marché, est un élément-clef pour un grand nombre de sans-terre. »

Aujourd’hui, Douglas est toujours autant volontaire et décidé, même s’il est conscient des difficultés : « La lutte pour la terre au Brésil devient de plus en plus difficile », avoue-t-il en soupirant. Les agro-industries ont de plus en plus de pouvoir, les médias, en grande partie liés au pouvoir, donnent souvent une image faussée du MST… Mais Douglas ne perd espoir, comme le prouve le tout dernier événement qu’il a mis en place à Paris pour les 25 ans du MST avec l’aide d’une quinzaine d’associations françaises, dont Frères des Hommes. Avec conviction, il faut toujours et encore informer le public et faire partager les luttes, pour plus de solidarité. Son avenir ? Engagé toujours pour une société plus juste et solidaire, peut-être en Bolivie ou au Brésil.