mouvement sans terre

15 juin 2003

Le Rôle du militant Sans Terre


Interview de Robson Aguiar de Oliveira.
Par Julien Terrié

Robson est né dans l’intérieur de l’état de Rio de Janeiro (RJ) dans une famille de paysans pauvres, il a commencé sa formation politique à 17 ans au PT. Il est rentré dans le MST en 1999 en participant à l’occupation Sebastian Lan à Campos (RJ), il a suivi la formation militante du MST dans l’école ITERRA de Veranopolis (Rio grande do Sul).
Robson est actuellement délégué du MST à la Consulta Popular de Rio, responsable de l’organisation du référendum populaire contre l’ALCA.

Julien : J’aimerais que tu décrives un peu ton rôle, en tant que militant, dans le mouvement des Sans Terre.
Robson : C’est le rôle d’un militant de base dans l’organisation. Que signifie être militant d’une organisation ? c’est comprendre les bouleversements que créé cette organisation dans la société brésilienne, comprendre ce mouvement qui ne s’arrête jamais, c’est aussi comprendre les défis et les objectifs de l’organisation, un militant se doit aussi d’améliorer l’exécution des tâches qui lui sont confiées, de se dédier à l’étude pour réussir à acquérir la théorie et analyser au mieux la réalité politique et sociale, il doit apprendre à trouver et à repousser ses limites personnelles pour rendre plus efficace le collectif. Il va de soi qu’aucun militant ne doit sacrifier sa vie personnelle pour la construction de ce collectif, il faut réussir à ne pas en arriver là, c’est un processus qui ne se fait jamais sans quelques tensions, mais un individu doit toujours apporter ses caractéristiques individuelles pour enrichir le collectif. Un militant doit aussi, et c’est sûrement le point le plus important, développer dans ses pratiques quotidiennes de nouvelles relations humaines grâce à des valeurs en lien avec les valeurs construites historiquement par les peuples en résistance aux différents pouvoirs centralisés, je pense aux valeurs socialistes et humanistes qu’il faut faire évoluer en fonction de la conjoncture actuelle. Nous nous sommes rendu compte que le capitalisme ne se maintient pas aussi fortement qu’à l’heure actuelle dans une population seulement grâce à sa menace de répression, ou grâce aux médias, mais aussi parce qu’il est reproduit dans les comportements individuels de ceux qui le subissent (par exemple dans la recherche de profit personnel permanent), et donc de proposer dans notre travail de base un autre mode de fonctionnement collectif est un véritable acte de résistance au libéralisme. 


Quand ce processus que l’on peut appeler processus de formation de la conscience politique, ou de la conscience collective se déroule seulement dans le cadre du groupe social dans lequel tu vis, tu peux être considéré comme une personne solidaire mais quand tu cherches à développer de nouvelles valeurs de solidarité dans une organisation qui défini des objectifs immédiats et des objectifs à long termes, en d’autres termes, qui défini quelle va être son action tactique et stratégique, tu as automatiquement une influence supérieure à celle d’une personne solidaire ou simplement bien intentionnée, tu deviens un acteur politique, un acteur de transformation sociale. Ceci est le rôle d’un militant.

J : Pour revenir sur la question de l’individu et du collectif, penses tu qu’il y ait, contrairement à ce que peut diffuser la pensée dominante, une action libératrice du collectif, plus particulièrement de l’organisation, sur l’individu ?

R : Notre société par son degrés d’inégalité et d’exclusion, condamne celui qui ne fait pas parti d’une petite élite à ne pas être sujet, acteur de sa propre vie, avec la capacité de construire une opinion, de dire qu’il sait en se basant sur une opinion qu’il a bâti lui même. Cette société inégale ne permet pas cela, et une grande partie de la population reste sans être, sans connaissance sur la réalité (politique, sociologique), sans savoir être acteur social; mais quand une de ces personnes entre dans une organisation comme le MST ou d’autres organisations dans le milieu rural, il arrive à se libérer petit à petit de ce courant qui ne le laissait pas avancer, qui ne le laissait pas parler, qui ne le laissait pas mordre. Cette véritable libération se fait de façon très intéressante et très belle, ceci amène de nouveaux comportements, une nouvelle culture et pour nous qui sommes de cette grande masse, acquérir un tel niveau de conscience est quelque chose d’extraordinaire. Pour une petite parti de l’élite, ceci est inacceptable parce ce que c’est trop radical. C’est pour cette raison que nous sommes très réprimés.

Nous vivons quotidiennement avec des individus qui sont dans un processus de pure et simple ré humanisation, cette libération là est quelque chose de vraiment supérieur à n’importe quel autre type de constructions libertaires qu’il peut y avoir aujourd’hui en Europe. Ce qui se passe ici c’est la transformation en être humain de l’homme traité comme un animal. Et ne peut sentir et traduire cette libération que celui qui l’a vécu dans sa chair.

J : Quels types de comportements, de culture particulière est née dans le MST ? Où chacun des militants trouve le courage d’occuper les terres et d’affronter directement les grands propriétaires, ignorez-vous la peur ?

R : La peur existe toujours, l’homme courageux c’est celui qui a peur mais qui se prépare, le lâche c’est celui qui a peur et qui fuit. Qu’est ce que se libérer ? C’est ne plus marcher en baissant les yeux, c’est ne plus recevoir de coups sans se taire, c’est au contraire comprendre et réagir. Quand tu arrives à acquérir cette force de réaction, tu commences le processus, et cette capacité est catalysée par le collectif, elle vient du contact avec les autres companheiros[1].
L’organisation permet donc d’amincir l’inégalité du rapport de force dans les conflits qui peuvent éclater entre les sans terre et les grands propriétaires terriens. Quand on occupe une terre, on occupe une propriété privée qui est quelque chose de sacré pour le capitalisme, du point de vue juridique c’est une véritable révolution que de réussir à exproprier cet espace, du point de vue social, n’en parlons pas. Nous avons des companheiros, même de gauche, qui préféreraient que nous nous associions au programme Banco da terra[2] pour éviter les conflits en zone rurale.
Donc nous avons un rapport de force défavorable, mais nous affrontons quand même et la force de réaction naît quand on s’aperçoit que l’on n’est pas seul, à ce moment là, beaucoup ont le même objectif et je crois que percevoir cela fait notre force. Quand nous faisons une occupation d’un organisme public, à cinq heures du soir il ferme et les employés rentrent chez eux, et nous restons là la nuit risquant d’être arrêtés par la police. Jusqu’au lendemain on ne sait pas ce qui peut nous arriver, mais nous y allons sans nourriture, nous y allons parce que nous créons un rapport de force. Et ce qui arrive souvent, c’est que malgré la pression nous réussissons à dormir, par contre les salariés qui sont sorti ne réussissent pas à s’endormir dans leurs maisons, dans leur confort pensant à ce qui va peut être nous arriver. Et chaque fois que nous arrivons comme ça à occuper les têtes des brésiliens, nous nous libérons d’autant plus.
Quand nous partons pour faire nos marches, nous partons avec de la nourriture pour une journée seulement et nous marchons pendant 3 mois, il nous faut construire, ici le processus de réaction est très fort et nous y arrivons toujours. Toutes ces histoires du point de vue de la culture dominante sont des choses impossibles, mais cette logique est une logique imposée à un dominé par un dominant. Ceci vaut aussi pour cette idée de la lâcheté, la peur est un moteur de construction pour nous.
J : J’ai remarqué que ce qui est important chez un militant sans terre est cette identité Sans Terre. Une femme, dans une des toutes premières marches, a répondu à un journaliste à la question “ qui êtes vous ? ” –“ nous sommes sans terre, Sans Terre du MST ! ” Et ceci est resté comme un symbole de cette identité. Autre symbole, dans un contexte plus douloureux, c’est la mort du jeune Oziel assassiné avec dix huit autres Sans Terre du MST à Eldorado dos Carajas[3], il est mort après avoir été torturé devant les autres, et avant que les policiers militaires ne lui tirent une balle dans la tête, il a crié trois fois “ vive le MST ”. Dom Tomàs Balduìno[4] dit que cet événement est d’une importance majeure et qu’il a pris conscience à partir de là que le MST était en train de bousculer en profondeur la culture populaire brésilienne, qu’en penses tu ?
R : Pour moi c’est notre organisation qui nous a aidé à construire cette liberté. Regarde bien, nous sommes dans une société dans laquelle nous ne pouvons pas dire que nous sommes brésiliens. Mais nous pouvons dire que nous sommes Sans Terre[5]. Parce que un Sans Terre défend les pauvres, aide les autres. Nous avons créé cette identité Sans Terre parce que nous nous sommes rendus compte qu’être Sans Terre créé de nouvelles relations en accord avec les valeurs humanistes. Cette identité rompt avec un sentiment corporatiste parce que nous construisons des valeurs. C’est arrivé parce que nous sommes habitués à souffrir, personne ne pleure parce qu’aujourd’hui il va marcher alors qu’il n’y a pas de nourriture et qu’il faudra en trouver demain. Nous sommes Sans Terre, ceci est notre lutte, ceci est notre construction et les valeurs qui s’acquièrent avec cette identité font que tout le monde est fier d’être Sans Terre. Nous aimerions beaucoup un jour pouvoir dire que nous sommes brésiliens en gardant nos valeurs. Malheureusement pour l’instant, il existe seulement l’identité Sans Terre pour structurer notre lutte.
J : Parmi ces différentes valeurs nées de la lutte et de la pratique quotidienne de forme de gestion socialisées, c’est la valeur do “ cuidar ”, l’attention que porte chaque militant à ne pas avoir un comportement individuel pouvant mettre à mal l’organisation.
Comment s’acquiert ce genre de discipline individuelle ?
R : Se préoccuper à ce que son comportement individuel ne porte pas préjudice mais aussi demander à ce que quelqu’un te prévienne lorsque le groupe remarque que tu es en train de faire erreur, fait en effet parti de nos pratiques. Mais cette pratique existe seulement parce que l’individu en lui même est respecté selon ses caractéristiques propres, donc la personne va avec le collectif mais ne devient pas robot, n’est pas formatée elle vient avec tout ce qu’elle a, comme on peut dire dans le langage commun, avec ce qu’elle a de bon et de mauvais. Le collectif respecte l’individu, et en étant reçu de cette façon, il perçoit alors qu’il doit lui même éliminer des petites choses pour aider le collectif, et ceci est l’éternel échange qui se produit. Nous respectons beaucoup plus le collectif que les lois morales de la société qui portent une forte marque d’autorité, et dans ce cadre là nous n’avons pas été respecté en tant qu’individus.
J : D’où vient cet attachement tout particulier au respect de l’individu, vient-il des théories développées dans les années 60-70 (ndr : il y a eu aussi des événements politiques importants en 67/68 au Brésil) ? Ou vient-il de l’analyse interne du MST sur les différentes expériences socialistes de par le monde (ndr : le MST a beaucoup étudié l’Histoire des mouvements sociaux pour la terre et les expériences anticapitalistes en général) ?
R : Un mélange des deux, il vient aussi de la pratique quotidienne et de notre observation, nous avons la volonté de vaincre l’oppresseur, or l’organisation est notre seule arme et le respect de l’individu ses fondations, nous mettons donc toutes les chances de notre côté.
J : D’où vient cette volonté de vaincre ?
R : Je ne sais pas comment tu vas faire la traduction. La traduction sera facile, mais je ne sais pas si ce sera facile à comprendre.
Cette volonté vient de l’idée de Mìstica qui a un début un milieu et une fin. La Mìstica du MST est son identité. C’est de là que nous vient cette volonté de chercher à comprendre l’Histoire, c’est ce qui fait qu’une personne semi-analphabète prend un livre et veut comprendre. Quand on regarde l’Histoire, on se rend compte qu’elle est remplie de Sans Terre et nous continuons leur lutte. Cette simplicité, cette évidence peut faire comprendre ce qu’est cette Mìstica. C’est aussi l’identité forte d’être un lutteur Sans Terre, héritier des luttes du passé, ceci fait que nous avons une certaines discipline dans nos tâches.
Personne ne parle des Canudos[6], des Contestados comme nous en parlons, même le mouvement noir ne parle pas comme nous de Zumbi dos palmares[7]. Tous ont lutté pour la terre. Ils n’ont pas réussit et nous avons le devoir en tant qu’organisation de faire qu’ils n’aient pas lutter pour rien, qu’ils ne soient pas morts pour rien.
J : Le MST prends un soin particulier à commémorer la mort d’un companheiro tombé. J’étais avec le MST lors de la mort de Celsio Daniel et nous avons fait comme pour la mort d’un Sans Terre, quelqu’un a crié “ pour nos morts pas une minute de silence” s’en est suivi une longue salve d’applaudissements, puis nous avons fait une grande fête et nous avons danser toute la nuit. Ce rituel sert-il à maintenir l’espérance ? Fait-il parti de la Mìstica ?
R : Oui, bien sûr. Tu vois la Mìstica est un peu l’aliment quand tu n’as pas faim, qui te donne des forces. Cet aliment à un nouveau sens, il te libère, c’est l’aliment qui te libère. Tu vas me dire que ça existe pas, mais si ça existe (rire). Et chaque fois que nous valorisons les lutteurs du peuple dans l’Histoire, nous les incorporons à notre lutte quotidienne. Ceci n’est pas une formalité, ce n’est pas quelque chose d’institutionnel, ça n’a rien de formel dans le mouvement mais a tout moment dans mes paroles dans celles des autres militants, on pense à ce qu’on a lu sur la vie d’un certain lutteur. Et la conviction, la certitude n’est pas seulement la notre, nous sommes beaucoup plus les instruments de ceux qui sont tombés, nous parlons pour eux, ceci nous donne une conviction très forte.
J : Penses-tu que le Mouvement des Sans Terre aujourd’hui, au Brésil, est un acteur important de la lutte populaire ?
R : Oui, je pense que le mouvement dans son ensemble se positionne dans une logique de lutte de classe, de lutte populaire. Seulement je pense que c’est un acteur qui va disparaître dans un futur proche. Ce mouvement a cette capacité d’avoir des liens avec d’autres organisations. Je pense que le moment où les gens trouvaient le mouvement “ très beau ” est passé, ce qui est bien, la population commence à comprendre que chacun doit lutter pour que les choses changent.
Il y a seulement deux scénarios possibles si le mouvement continue sans se transformer. Le premier c’est être détruit rapidement. Le second c’est se transformer en musée, que l’on viendra visiter mais qui ne réussira plus à avancer parce qu’il aura l’obligation d’être une référence.
Ce qu’il faut voir c’est qu’il n’y a pas des milliers d’acteur dans la lutte brésilienne, le MST est sur tous les fronts et ceci est terrorisant pour nous.


[1] Compagnons de lutte, camarade.
[2] Banco da terra est un programme mis en place par la banque mondiale qui propose la vente des terres des grands propriétaires (réforme agraire marchande). Le MST a toujours critiqué ce programme qui endette les paysans et fait s’enrichir les grands propriétaires.
[3] Ville du Parà (état du nord) théâtre le 17 avril 1996 d’un massacre de paysans du MST aux répercutions internationales, le 17 avril est depuis journée internationale des luttes paysannes.
[4] Evêque de la théologie de la libération dans la région de Goias, il fut l’un des fondateurs de la Commission Pastorale de la Terre en 1974. La CPT fut centrale dans la création du MST en 1979-85.
[6] La révolte des Canudos menée par Antonio Conseleiro au XVème siècle installa 25 000 paysans pauvres sur une terre conquise pour construire une société parallèle égalitaire et démocratique, elle fut réprimée dans un bain de sang.
[7] Lutteur noir leader du Quilombo dos palmarès, une des plus importante et plus organisé terre d’accueil des esclaves en fuite.

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