mouvement sans terre

30 juin 2007

Editorial de la revue VOLCANS :

Le pape et les sans terre

C’est au Brésil, devant la conférence des évêques d’Amérique latine et des Caraïbes, que le pape a affirmé : l’évangélisation des Indiens « n’a comporté à aucun moment une aliénation des cultures précolombiennes et n’a pas imposé une culture étrangère ». Il a, depuis, fait amende honorable. Mais il a malgré tout tenu à souligner « l’œuvre merveilleuse » accomplie « avec la grâce de Dieu » par les évangélisateurs en Amérique latine.

Au Brésil l’évangélisation a été menée de pair avec l’instauration d’une société esclavagiste à grande échelle. Cela concernait les esclaves acheminés depuis l’Afrique noire mais aussi les indigènes réduits en esclavage après la confiscation de leurs terres et la création des « capitaineries héréditaires », immenses propriétés concédées à des aristocrates portugais.

Assez tôt, des esclaves ont pu fuir leur condition et se regrouper dans des zones difficilement accessibles où ils vivaient en communauté, les palmares. L’un d’entre eux, Zumbi dos Palmares, s’est fait connaître en prenant la tête d’une longue révolte contre le pouvoir des capitaines. Né en 1655 au quilombo dos Palmares qui pouvait compter alors quelque 30 000 personnes, il est fait prisonnier encore enfant par un chasseur d’esclave. Le père Antonio Melo qui en reçoit la charge, le baptise Francisco et s’efforce de le faire échapper à « sa condition de sauvage », en l’initiant au portugais, au latin et à la religion catholique. Mais Zumbi s’enfuit à l’âge de 15 ans pour rejoindre Palmares. Intraitable, il refusera de se rendre jusqu’à sa capture et sa décapitation en 1794.

Les sans terre du Brésil célèbrent la mémoire de Zumbi. S’il avait retardé de quelques semaines son voyage et, plutôt que de s’adresser à un cénacle d’évêques d’obédience Opus Dei, avait écouté la foule rassemblée pour le Ve congrès du Mouvement des sans terre (MST), le pape aurait pu comprendre que pour eux, les « bienfaits de l’évangélisation » signifiaient d’abord des siècles de spoliation et de déshumanisation.

Lula avait promis une profonde réforme agraire. Après sa première élection il s’est seulement engagé à distribuer 400 000 parcelles. Il prétend aujourd’hui avoir pratiquement atteint cet objectif mais le MST dénonce un tour de passe-passe : alors que la réalité se chiffre à 40 000, le gouvernement inclut dans son décompte des exploitations depuis longtemps distribuées mais qui viennent seulement d’obtenir un titre de propriété. Le MST estime à 230 000 le nombre de familles installées dans des campamentos au bord des routes, en attente de se voir attribuer une parcelle.

A cette lutte pour la terre, toujours aussi actuelle – 1 % de la population possède encore 46 % des terres cultivables –, le MST entend associer la lutte pour une autre agriculture. Après le soja et le coton, le gouvernement Lula s’apprête à légaliser les cultures de maïs transgénique. La production à très grande échelle de cultures destinées aux biocarburants menace de ruiner définitivement la petite exploitation agricole. Plus encore, elle est porteuse de désastres écologiques sans précédent. Des esclaves marrons d’hier aux sans terre d’aujourd’hui, la révolte seule est porteuse d’avenir.

29 juin 2007

L’agroénergie et le rôle-clé joué par les petits producteurs

par Pedro Carrano

Le premier moment du cycle de débats organisé par l’hebdomadaire Brasil de Fato [lié au MST brésilien] et par l’organisation Via Campesina (organisation internationale des petits paysans et de sans-terre dans laquelle le MST joue un rôle important) pose l’agroécologie comme étant le point de départ dans la production d’agroénergie.

Le cycle de débats «L’agroénergie au Brésil, ses potentiels et les défis posés» a été conçu comme une activité parallèle au programme de la 6ème Journée d’Agroécologie qui a eu lieu le jeudi 12 juillet passé à Cascavel, dans l’Etat de Paraiba [Etat du Nordeste brésilien]. Dans tous les débats, l’accent a été mis sur la nécessité d’une production d’énergie d’origine végétale qui soit effectuée par des petits producteurs.

Selon les participants au débat de Cascavel, ce n’est que de cette manière que l’agroénergie pourra conduire à la souveraineté alimentaire et énergétique, dans la mesure où elle sera appuyée par un projet développé par des entreprises publiques telles que la Petrobrás [société transnationale pétrolière brésilienne, étatique, mais qui représente le bras de politico-économique du capital brésilien].

L’agroénergie est caractérisée par l’énergie et par des combustibles obtenus à partir de cellulose, de graines oléagineuses ou de sucres tirés de la canne à sucre. Ont participé à la discussion : le Père Sergio Antônio Görgen (Via Campesina), Claudio Dode (Petrobrás) et l’ingénieur agronome Horácio Martins.

Le cycle de débats est une initiative de la Via Campesina en partenariat avec le journal Brasil de Fato, et sous le patronage de la Petrobrás. Le second événement est fixé au 18 juillet, à Belo Horizonte, dans l’Etat de Minas Gerais. L’objectif est de lancer le débat sur le thème de l’agroénergie et de faire connaître à la société et jusqu’à la base des mouvements sociaux les plus reculés les projets et les luttes de classes qui caractérisent le sujet.

En accord avec João Pedro Stedile, dirigeant nationale de la Via Campesina au Brésil, il s’agit d’un effort commun, d’un véhicule de communication alternative entre le mouvement social et une entreprise d’Etat.

Rareté du pétrole

En tant que modérateur de la rencontre de Cascavel, Stedile a d’emblée déclaré que l’urgence de l’agroénergie surgit de la compréhension du fait que le pétrole se fait de plus en plus rare. Aujourd’hui, le valeur du baril de pétrole avoisine les U$ 70 dollars (environ R$ 150 reais), mais pourrait atteindre les U$ 100 dollars dans un futur proche. Le dirigeant du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre (MST) a également mis en évidence le processus de prise de conscience dans l’opinion publique du fait que le modèle actuel de production et de consommation d’énergie est écologiquement insoutenable.

Stedile a fait une lecture des projets qui sont actuellement en concurrence autour de l’agroénergie. Si quelques-uns parmi eux impliquent des risques pour la production des petits agriculteurs, d’autres en revanche peuvent exploiter le potentiel et la viabilité de cette forme de production. La production d’énergie peut se faire par exemple en partenariat entre les petites agriculteurs et la Petrobrás. Une autre proposition serait une petite usine sous le contrôle des paysans, organisés en coopératives.

L’orateur a également parlé de la possibilité d’une production faite à partir de micro-usines familiales, dans lesquelles la génération d’énergie électrique se ferait sur place, de façon rationnelle et intégrée avec les cultures et avec la production d’huiles végétales.

Pour finir, il a présenté une proposition faite par l’ingénieur physicien Bautista Vidal concernant la création d’une entreprise étatique d’agroénergie. Il a été clair au long de tous les exposés que l'agriculture familiale présente un modèle de production alternative pour l'agroénergie, mais que cela ne peut se produire que s’il existe des programmes gouvernementaux d’appui à cette production, puisque celle-ci ne doit pas être soumise aux lois du marché.

Sans transgéniques ni monocultures

Dans son exposé, Cláudio Dode, de la Petrobrás, a insisté sur le fait que le programme de l'entreprise d’Etat qu’il représente est fondé sur l’idée de partenariats avec l’agriculture familiale, à partir de décisions prises par les communautés. Les projets de l’entreprise sont pensés en terme de polycultures, et non de monocultures. Selon Dode, la production d’agroénergie par cette entreprise d’Etat ne peut se faire qu’au sein d’un projet d’emploi et de revenu, et la production d’huile végétale ne peut être enlevée au petit producteur. Le représentant de la Petrobrás a également écarté la possibilité de travailler avec des cultures transgéniques. «Dans les programmes dans lesquels l’agriculteur fournit la matière première pour être industrialisée, la base du projet est l’agroécologie», a-t-il commenté.

Le Père Sergio Antônio Görgen, de son côté, croit que l’agroénergie apporte un changement structurel pour la société, et c’est pour cela que le sujet ne peut être abordé sans la présentation d’alternatives pratiques. Görgen précise que le Brésil possède les caractéristiques lui permettant de devenir le premier dans la production de bioénergie : un sol fertile, une main-d’œuvre en quantité et des réserves d’eau bien distribuées. Et surtout, le Brésil est le pays tropical disposant du plus grand territoire exposé au rayonnement du soleil.

Le dirigeant de Via Campesina a exposé les principes de la production de bioénergie appliqués par les petits producteurs. La production ne doit en aucun cas provoquer de substitution aux aliments, et doit de pour cela être basée sur différents types de cultures. Le contrôle des travailleurs sur la production doit être complet. «L’agriculteur ne peut pas produire de la matière première sans une valeur ajoutée, il est nécessaire de contrôler le maximum possible de la chaîne productive, en ayant recours à d’autres forces», a-t-il dit. La construction de ce projet n’est possible qu’en collaboration avec des entreprises publiques et notamment avec la Petrobrás, selon Görgen.

Les risques pour les cannaies

L’ingénieur agronome et chercheur Horácio Martins, à la fin de tous ces exposés, a analysé le projet du capitalisme mondial pour l’agroénergie au Brésil. L’objet de sa recherche détaillée est la culture de la canne à sucre. En accord avec le chercheur, le nombre de projets d’usines se monte actuellement de 189, dont 77 ont déjà obtenu l’autorisation.

La préoccupation majeure exprimée par l’ingénieur agronome est que la production agricole de matière végétale soit tournée vers l’exportation. Selon lui, la récolte de 2007/2008 va produire pour 20 milliards de reais de litres d’alcool, avec l’objectif de fournir le mélange de 25% d’alcool exigé dans l’essence. Même ainsi, la plus grande partie de la production sera destinée à l’exportation.

Pour Martins, la non-viabilité du modèle actuel de société exige des formes alternatives de production et de consommation. «Nous avons besoin d’une nouvelle conception de société, de rupture avec cette conception individualiste, nous devons changer le modèle de référence européen et nord-américain. Nous avons besoin de gouvernements populaires avec, à la base, des paysans pouvant produire leur autonomie, au moyen de petites et moyennes usines. Le paysan doit croire qu’il est lui est possible de subvenir à ses besoins en tant que producteur», affirme Martins. (Trad. A l’encontre)

22 juin 2007

Les Sans Terre brésiliens accusent l'état d'empêcher la réforme agraire.

Échos du Vème Congrès National du Mouvement des travailleurs ruraux Sans Terre.


Brasília, le 16 juin 2007

Marche des Sans Terre devant le Palais présidentiel - Brasilia. Photo: Julien Terrié.

¨Réforme agraire, pour la justice sociale et la souveraineté populaire¨ c'est le slogan choisi par le Mouvement des Sans Terre pour son Véme congrès national tenu du 11 au 15 juin 2007 à Brasília. "Justice sociale" en opposition aux politiques seulement compensatoires de Lula et "souveraineté populaire" pour plus de démocratie, de souveraineté alimentaire et de luttes anti-impérialistes au Brésil.


Dans le gymnase Nilson Nelson de Brasilia, 17.500 délégués, dont 40% de femmes, toutes et tous élu(e)s par les militants des terres conquises ou encore en occupation par le MST, 181 invités internationaux représentants 21 organisations paysannes de 31 pays et ami(e)s de divers mouvements et entités sont venus discuter des futures tâches politiques du Mouvement et de son positionnement par rapport au gouvernement Lula.

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16 juin 2007

Carte du cinquieme congrès national du Mouvement des Sans Terre


Nous, les 17.500 travailleurs et travailleuses ruraux Sans Terre, de 24 états du Brésil, 181 invités internationaux représentants 21 organisations paysannes de 31 pays et ami(e)s de divers mouvements et entités, réunis á Brasilia du 11 au 15 juin 2007, au cours du cinquième congrès national du MST, pour discuter et analyser les problèmes de notre société à la recherche de solutions alternatives.

Nous nous sommes engagés à continuer d'aider l'organisation du peuple, pour qu'il lutte pour ses droits et contre les inégalité et les injustices sociales. Pour cette raison, nous nous engageons á assumer les tâches suivantes:



  1. Articuler avec tous les secteurs sociaux et leurs diverses formes d'organisation pour bâtir un projet populaire qui affronte le néolibéralisme, l'impérialisme et les causes structurelles des problèmes qui affecte le peuple brésilien.

  2. Défendre nos droits contre n'importe quelle politique qui retire des droits déjà conquis.

  3. Lutter contre les privatisations du pâtrimoine public, contre la transposition du Rio São Francisco et pour la renationalisation des entreprises publiques déjà privatisées.

  4. Lutter pour que tous les latifundios (grandes propriétés) soient expropriés en priorité ceux qui dépendent de capitaux étrangers et des banques.

  5. Lutter contre la déforestation servant à l'extension des latifundio. Exiger du gouvernement des actions concrêtes pour punir ces pratiques polluantes et criminelles. Combattre l'utilisation de produits agrotoxiques et la monoculture extensive de soja, canne à sucre, eucalyptus, etc.

  6. Combattre les entreprises multinationales qui veulent contrôler les semences, la production et le commerce agricole brésilien comme la Monsanto, Syngenta, Cargill, Bunge, ADM, Nestlé, BASF, Bayer, Aracruz, Stora Enso, entre autres. Les empêcher de continuer l'exploitation de notre patrimoine naturel et de notre main d'oeuvre.

  7. Exiger la fin immédiate du travail esclave, la super exploitation du travail et la condamnation de ceux qui le pratique. Tous les latifundio qui utilisent le travail esclave doivent être expropriés, sans aucune indemnisation, comme le prévoit le projet d'amendement constitutionnel déjà voté en première lecture par la chambre des députés.

  8. Lutter contre toute forme de violence en milieu rural, comme par exemple la criminalisation des mouvements sociaux. Exiger la condamnation pour tous les auteurs d'assassinats – exécuteurs comme demandeurs – de lutteurs et lutteuses pour la réforme agraire encore impunis et dont les procès sont suspendus par le pouvoir judiciaire.

  9. Lutter pour la limitation de la taille des propriétés foncières. Pour la démarcation des toutes les terres indigènes et des quilombos (terres agricoles occupées des esclaves en fuite) encore existants.

  10. Lutter pour que la production d'agrocombustible soit sous le contrôle des paysans et des travailleurs ruraux et qu'elle entre dans le cadre d'une polyculture préservant l'environnement et visant à la souveraineté énergétiques de chaques régions.

  11. Défendre les semences natives ou créoles. Lutter contre les semences OGMs. Diffuser et enseigner les pratiques agroécologiques et techniques agricoles respectant l'équilibre de l'environnement. Les assentamentos (terres conquises) et communautés rurales doivent produire prioritairement des aliments sans toxiques et pour le marché interne.

  12. Défendre toutes les sources et réserves d'eau douce. L'eau est un bien commun de l'humanité, elle ne peut être la propriété privé d'aucune entreprise.

  13. Préserver les forêts et promouvoir la culture d'arbres natifs et fruitiers dans tous les assentamentos et communautés rurales pour contribuer à la preservation de l'environnement et la lutte contre la disparition de réserves.

  14. Lutter pour que la classe travailleuse ait accès á l'éducation fondamentale, aux écoles de second grade et aux universités publiques, gratuites et de qualité.

  15. Developper des campagnes et programmes pour éliminer l'analphabetisme à la campagne comme en ville, avec une orientation pédagogique transformatrice.

  16. Lutter pour que chaque assentamento et communité rurale aient leur propre moyens de communication populaire comme par exemple des radios libres communautaires. Lutter pour la démocratisation de tous les moyens de production dans toute la sociéte pour contribuer à la formation de la conscience politique et la valorisation de la culture populaire.

  17. Fortifier l'articulation des mouvements sociaux dans le cadre de la Via Campesina Brésil, dans tous les Etats et toutes les régions. Constituer avec les mouvements sociaux l'Assemblée Populaire dans les villes, les régions et les Etats.

  18. Contribuer à la construction de tous les mécanismes possibles d'intégration populaire Latino Américaine autour de l'ALBA – ALternative Bolivarienne des peuples d'Amérique. Exercer la solidarité internationale avec les peuples qui souffrent de l'agression de l'empire, spécialement aujourd'hui avec les peuples de CUBA, d'HAITI, d'IRAK et de PALESTINE.

Nous nous appelons à ce que le peuple brésilien s'organise et lutte pour une société juste et égalitaire qui sera possible seulement avec la mobilisation du peule dans son ensenble. Les grandes transformations sont toujours l'oeuvre du peuple organisé. Et, nous du MST, nous nous engageons à ne jamais perdre l'espérance et lutter toujours.



REFORME AGRAIRE pour la Justice Sociale et la Souveraineté Populaire !

Traduction Julien Terrié pour le secteur des relations internationales du MST (Groupe de Solidarité France : http://amisdessansterre.blogspot.com/)


à Brasilia, le 15 juin 2007