mouvement sans terre

29 févr. 2016

Pas une minute de silence, mais une vie de luttes

Information du Mouvement des personnes affectées par les barrages, MAB, sur le cas de la disparition d' Nlice Souza Magalhães, leader MAB de la région de Rondonia.

Jusqu'à maintenant, l'enquête menée par la police civile n'est pas claire, présentant de nombreuses lacunes juridiques dans l'enquête. Nous espérons que les faits seront bien éclaircis, et que l'affaire sera résolue, en respectant la base juridique appropriée.
Nilce de Souza Magalhães, mieux connue comme 'Nicinha', mère de trois enfants, grand-mère de sept petits-enfants, pêcheuse et militante du MAB, Mouvement des personnes affectées par les barrages, dans la région de Rondonia, a combattu au prix de sa vie, la rivière et la forêt, elle était une habitante  de la rivière Madeira, où elle a lutté pour ne jamais quitter son lieu de vie.

Elle a «disparu» le 7 Janvier 2016, après avoir été vue la dernière fois dans la tente où elle vivait avec son mari, Nei, dans un camp avec d'autres familles de pêcheurs touchés par le barrage hydroélectrique de Jirau, à "Velha Mutum Paraná ", au kilomètre 871 de la route fédérale BR 364, en direction de Porto Velho-Rio Branco.
Nicinha a été vue pour la dernière fois au camping, par son voisin, pendant qu'elle cuisinait et s'occupait du lavage de ses vêtements dans sa cabane, autour de midi, le 7 Janvier 2016. Quelques temps plus tard, le même voisin a senti une odeur de brûlé et s'est rendu à sa cabane, la nourriture était en feu et la machine à laver tournait encore. Nilce n'était plus sur le site.
Les recherches de la police civile n'ont commencées que le 13 Janvier. Jusqu'à présent, seule une petite chaîne qu'elle portait toujours autour de son cou a été trouvé sur le sol près de sa tente dans le campement et abimée par l'équipe de la brigade d'incendie. Cela pourrait indiquer qu'elle a été emmenée de force. En outre, les documents personnels et la caméra ont également disparu. Ils contenaient des documents importants pour la lutte.
Nicinha est connue dans la région pour ses combats dans le cadre du mouvement des personnes affectées par les barrages, pour la défense des personnes touchées, dénonçant les violations des droits humains commises par le consortium responsable de la centrale de Jirau, l'énergie durable du Brésil (CERS). Elle était fille de récolteurs de caoutchouc issus de la ville de Xapuri, venus à Abuna (Old Porto Velho) dans la région de Rondonia, où elle a vécu pendant près de cinquante ans, en étant touchée par le barrage de Jirau dès les premières années.
L'activité de pêche a commencé à être sérieusement compromise avec le barrage, ce qui a rendu la vie des pêcheurs extrêmement difficile. En 2014, la communauté a également été touchée par une inondation majeure créée par le réservoir hydroélectrique qui a inondé les maisons de familles riveraines, détruisant entres autres les cultures, les matériaux de travail...
Face aux dommages causés par la centrale hydroélectrique, Nicinha n'a pas eu pas d'autre choix que de passer à "Mutum Velha", avec d'autres pêcheurs pour essayer de continuer à survivre, même si le lieu n'a pas accès à l'eau potable ou à l'électricité. L'emplacement sur le bord de la rivière Madeira et la route fédérale BR 364, est l'endroit où était autrefois la communauté de Mutum Paraná, qui a été complètement supprimée en raison du remplissage du réservoir hydroélectrique de Jirau et est considéré comme sa propriété privée. Les familles riveraines sont maintenant traitées comme des envahisseurs de leur territoire.
Le consortium responsable de la Jirau hydroélectrique barrage est formé par les entreprises: GDF Suez-Tractebel avec 40%, Mitsui avec 20% et le groupe Eletrobrás avec 40%, et Eletrosul CHESF chacune avec 20% des actions.
Suez-Tractebel est considérée comme l'une des sociétés les plus violentes dans le monde et au Brésil dans sa manière de traiter les populations affectées et l'environnement. En 2010, Suez a remporté le prix de la pire entreprise dans le monde par les Public Eye Awards pour sa participation à la construction du barrage hydroélectrique de Jirau, sur la rivière Madeira, le plus grand affluent du fleuve Amazone. Le gouvernement français contrôle 36% des actions transnationales GDF Suez-Tractebel. Les entreprises publiques du groupe d'État Eletrobrás appartiennent au gouvernement brésilien, ainsi que le principal bailleur de fonds de la banque publique BNDES.
En plus des impacts graves causés par le barrage au Brésil, il atteint aussi le territoire bolivien, qui a été ignoré dans les études d'impact environnemental, et dans le projet de l'OEA (Organisation des États américains). Dans le programme du Brésil, un certain nombre d'actions civiles, de nombreuses contraintes environnementales ne sont pas satisfaites.
Nilce a fait plusieurs dénonciations pendant des années, a participé aux audiences et aux manifestations publiques. Elle a souligné les graves répercussions sur l'activité de pêche dans la rivière Madeira, ainsi la non validité de la licence de l'entreprise qui oblige le consortium à réparer le statut socio-économique des familles de pêcheurs touchés.
Les dénonciations ont conduit à deux enquêtes civiles publiques menées par les procureurs fédéraux et le procureur du district sur la non-mise en œuvre du Programme de soutien à l'activité de pêche et  sur la manipulation des données dans le suivi des rapports d'activité de pêche pour ne pas divulguer de tels impacts, action à caractère criminel .
Elle a également dénoncé l'existence de plusieurs zones de forêt inondées par le réservoir du barrage, où plusieurs espèces d'arbres indigènes sont morts, y compris celles qui sont essentielles à l'extraction tels que les châtaigniers. Elle a dénoncé la présence de bois enfoui illégalement, qui a contaminé l'eau et généré l'émission de gaz à effet de serre.
Nicinha luttait pour le droit des familles touchées par les inondations dans Abouna, elle est un leader connu dans la région pour la défense des droits humains. Elle a même participé aux négociations avec le gouvernement fédéral de Décembre 2015, auxquelles Nicinha avait assisté, décidant de la création d'une commission générale du gouvernement pour mener une enquête dans la région sur les violations commises par l'entreprise.
La criminalisation des mouvements sociaux est une habitude dans l'histoire du processus démocratique brésilien, de nombreux dirigeants sociaux ont été délégitimés et assassinés. L'état de Rondônia a une longue histoire de ce genre de pratique.
Au niveau national et international, nous devons être solidaires afin de demander justice et la réalisation des droits humains.
Sans justice, il n'y a aucun cas fermé! Eau pour la vie, pas pour la mort!

MAB Coordination/Rondônia

22 févr. 2016

« Lutte pour la terre, l'alimentation et le climat »

Conférence de Joaquin Pinero, responsable des relations internationales du Mouvement de Sans Terre du Brésil, le 26 octobre 2015 à AgroSup Dijon, sur le thème « Lutte pour la terre, l'alimentation et le climat »

Tout d'abord Joaquin Pinero indique que les problèmes alimentaires au niveau de la planète (1 Milliard d'individus souffrent de sous-alimentation) ne se situent pas au niveau de la production agricole, mais au niveau de l'organisation de cette production : en effet, les possibilités de production sur terre permettraient de nourrir correctement 3 fois plus d'habitants.
L'exemple du Brésil est particulièrement éclairant sur les conséquences de cette mauvaise organisation de la production sur l'alimentation du peuple brésilien et les dégâts environnementaux du modèle de production.
Au Brésil, la question foncière n'a jamais été solutionnée. Les occupants portugais ont spolié les populations indigènes pour attribuer de très grandes propriétés foncières aux colons. Il en a résulté un système agro-exportateur qui fonctionne depuis 300 ans. Ce modèle est basé sur 3 piliers :
  • monoculture extensive (café, cacao, puis canne à sucre et soja...)
  • la quasi totalité de la production est destinée à l'exportation,
  • le travail au départ fondé sur l'esclavage, est aujourd'hui assuré par des travailleurs exploités et précaires.
L'abolition de l'esclavage en 1888 n'a pas été suivi d'une réforme agraire : les anciens esclaves n'avaient pas les moyens d'acheter la terre qui est restée aux mains des grands propriétaires terriens, ce qui a entraîné un fort mouvement d'exode rural. En 1889, l'installation d'une république consacre l'alliance de la bourgeoisie industrielle et des grands propriétaires terriens.
Dans les années 1960, sous la présidence de Joao Goulart, une réforme agraire est proposée ainsi que des améliorations concernant l'éducation et la santé. Mais un coup d'état militaire en 1964, soutenu par une alliance des grands propriétaires terriens et de la bourgeoisie industrielle, mit un terme au processus de réformes engagées. La dictature militaire dura de 1964 à 1985 : cette période est caractérisée au niveau agricole par :
  • la mise en œuvre de la Révolution verte qui favorise de grandes exploitations agricoles, à haut niveau technologique et fortement consommatrice d'intrants et de ressources non renouvelables ; toute idée de réforme agraire est abandonnée ;
  • ce modèle entre en crise dans les années 70, car il est basé sur de fortes consommation de pétrole et sur l'exportation ;
  • ce modèle entraîne une accélération de l'exode rural, mais une partie des paysans refusent d'aller en ville et résistent en occupant des terres ; parallèlement se développent des mouvements de résistance des travailleurs de l'industrie ;
  • il y a articulation de ces mouvements avec la théologie de la Libération soutenue par une partie de la hiérarchie catholique brésilienne.
Dans cette période sont nés le Mouvement des Sans Terre (MST), la Confédération des travailleurs et le Parti des travailleurs.
Le MST est un mouvement indépendant de tout syndicat, parti politique ou église. Il lutte pour une réforme agraire, avec un projet de transformation du milieu rural, qui s'inscrit dans un projet de transformation de toute la société. Le MST est dirigé par une coordination collective, sans président.
Depuis sa fondation, il a permis à 300 000 familles de s'installer sur des terres qu'elles avaient initialement occupé de manière illégale. L'occupation de la terre est le principal moyen de lutte du MST : elle s'appuie sur la fonction sociale de la terre reconnue par la Constitution brésilienne de 1988 :
  • la terre doit être productive,
  • les propriétaires doivent respecter la législation du travail,
  • ils doivent respecter les bonnes pratiques environnementales.
Or, au Brésil, beaucoup de terres sont inutilisées. Aussi, le MST repère les familles qui sont candidates à exploiter des terres ; il repère les terres inutilisées ou exploitées en ne respectant pas la législation sociale ou environnementale ; enfin il organise l'occupation des terres, puis la reconnaissance juridique des exploitations de ces paysans ainsi installés. En plus des 300 000 familles dont l'installation a été reconnue, 100 000 familles sont dans un processus d'occupation non reconnue des terres. Ces 400 000 familles (soit 2 millions de personnes) représentent la base sociale du MST.
En face du MST, l'agro-négoce est de plus en plus puissant au Brésil, avec l'arrivée de nombreuses entreprises multinationales. 5 grandes multinationales contrôlent la chaîne de production, transformation, distribution et exportation de produits agricoles (l'amont et l'aval de l'agriculture).
Finalement coexiste au Brésil 2 modèles d'agriculture :
  • l'agro-négoce : c'est une grande agriculture qui utilise comme intrants des produits agro-toxiques, tournée vers l'exportation et qui est appuyée par une grande partie des députés et sénateurs du Congrès ; sur les 10 produits les plus exportés par le Brésil, 7 proviennent de cette agriculture ;
  • l'agriculture familiale et paysanne : elle représente 60% de l'emploi en milieu rural et produit 70% de l'alimentation de brésiliens

Le MST est le représentant de cette agriculture familiale et paysanne et lutte pour :
  • démocratiser les structures foncières. Le Brésil a la propriété la plus concentrée au monde : 1% des propriétaires possèdent 46% des terres
  • changer le modèle agricole en promouvant le modèle de l'agro-écologie, ce qui permettrait de créer des emplois en milieu rural pour éviter l'exode rural : le modèle d'agro-négoce est en train d'empoisonner producteurs et consommateurs
  • développer la formation à l'agro-écologie, car la formation actuelle est orientée vers l'agriculture productiviste
  • créer des écoles en milieu rural, afin d'éduquer tous les enfants de paysans
  • développer les liens avec d'autres pays et d'autres organisations, notamment à travers le réseau Via Campesina, afin de faire avancer les luttes et la résistance au niveau international : ce développement passe par l'échange d'agriculteurs et techniciens et d'étudiants.

Joachin répond ensuite aux questions de l'Assemblée.

Q. Il y a 2 ministères de l'agriculture au Brésil. Pouvez-vous nous indiquer les différences en terme de subvention et de coordination ?
R. Pour comprendre la différence entre les 2 ministères, il faut faire de l'histoire. Après des défaites en 1988,1994 et 1998, Lula arrive au pouvoir en 2002 grâce à une alliance large avec le Centre et une partie de la Droite.
Sous la présidence de Cardoso, suite à des mouvements de paysans, un ministère du développement agraire (MDA) avait été créé en 1999 pour appuyer l'agriculture familiale, tout en maintenant un ministère pour l'agriculture patronale (MAPA : ministère de l’Agriculture, de la pèche et du ravitaillement). Ces 2 ministères ont été conservés sous les présidences de Lula et Dilma Rousseff. Tandis que le MDA soutient l'agriculture paysanne, le MAPA soutient la vocation exportatrice de produits agricoles du Brésil. Le MDA dispose d'un budget de 20 milliards de réals, tandis que le MAPA a un budget de 100 milliards de réals.

Q. Comment se passe concrètement l'occupation des terres ? Quel est le statut juridique des terres occupées ?
R. Le processus d'occupation des terres et de reconnaissance juridique du droit d'usage des paysans installés est le suivant :
  1. des gens sans terre réclament des terres à exploiter : ils sont informés de leurs droits et aidés par les familles qui ont été installées auparavant
  2. après identification des familles sans terre, le MST identifie les terres qui ne remplissent pas leur fonction sociale reconnue par la constitution du Brésil
  3. le MST a un rôle crucial dans cette phase du processus, car il organise un réseau d'aide solidaire de ceux qui sont déjà installés et dont le droit d'usage a été reconnu légalement vers ceux qui occupent illégalement leurs terres : ces occupants « illégaux » subissent la répression policière et leur occupation précaire peut durer 10 ans avant d'être légalement reconnue et certains (jusqu'à 50%) abandonnent la lutte. Le MST demande que le gouvernement solutionne l'occupation par l'achat de terres et par une reconnaissance du droit d'usage aux paysans occupants.
  4. le processus d'occupation, lorsqu'il aboutit, est reconnu par l'Etat qui achète les terres aux anciens propriétaires et concède le droit d'usage aux paysans occupant les terres

Q. Quelle est l'importance des exploitations de paysans ayant bénéficié des rétrocessions ?
R. La superficie totale du Brésil est de 850 millions d'hectares dont 370 millions d'hectares en terres agricoles qui se répartissent de la manière suivante :
  • 100 millions d'hectares d'élevage extensif
  • 100 millions d'hectares de production de céréales (le Brésil exporte 200 millions de tonnes de céréales)
  • 70 millions d'hectares de petite agriculture familiale
  • 100 millions d'hectares en conflit revendiqués entre la grande agriculture et l'agriculture familiale.
Sont considérées comme « petites », les exploitations d'une superficie inférieure à 10 ha, mais ce seuil est variable selon les régions. Par exemple, en Amazonie, une exploitation de 100 ha peut être considérée comme petite. A l'autre extrême, certains propriétaires possèdent des superficies équivalentes à la surface de la Suisse.

Q. Actuellement, on a l'impression que le processus est pacifié, alors qu'il y a une intervention très dure de l'état contre l'occupation des terres (utilisation de pesticides par avion) ?
R. Aujourd'hui les conflits et la violence du processus diminuent. Il y a une diminution de la pression sur la terre, car d'autres possibilités d'emploi existent. Beaucoup de projets générateurs d'activités ont été mis en place sous la Présidence de Lula. Au lieu d'occuper les terres, les travailleurs ont été employés dans ces nouvelles activités.
Le Brésil est une république fédérale composée de 26 états qui ont une grande autonomie par rapport à l'état fédéral. La police militaire est autonome du gouvernement fédéral, elle est sous l'autorité du gouvernement des états. Comme il y a des Etats où le gouverneur est de droite ou d'extrême-droite, la répression s'attaque aux indigènes et membres du MST. Par exemple, au Mato Grosso, le gouverneur a été élu par les producteurs de soja et le soja importé en Europe provient du sang des indiens du Mato Grosso.
Le parti des grands propriétaires terriens domine le parlement brésilien : seulement 80 députés (sur 500) appartiennent au Parti des Travailleurs, le parti de Lula et Dilma Rousseff.
2 personnes par jour sont assassinées par la police militaire : souvent de jeunes noirs vivant à la périphérie des grandes villes.

Q. Comment serait-il possible aujourd'hui de mettre en place une réforme foncière, face à la très grande inégalité foncière du Brésil ?
R. Nous gardons espoir, car nous sommes dans un processus de lutte. Si on regarde ce que nous avons gagné depuis 30 ans, il y a motif d'espoir. La réforme agraire progressera avec l'appui des gens qui vivent en ville. Par exemple une foire qui a réuni 100 000 personnes, a été organisée à Sao Paulo pour offrir les produits des exploitations installées grâce au mouvement des sans terre. Les produits provenant des petites exploitations familiales sont sains, alors que ceux de la grande agriculture sont toxiques. Le renforcement du mouvement de soutien aux Sans Terre est nécessaire, car au Brésil, il y a un fossé énorme entre les villes et les campagnes : peu de consommateurs urbains ont conscience de la toxicité des produits alimentaires qu'ils consomment.

Q. Quel est le rôle de la moyenne exploitation et comment se développe-t-elle ?
R. La moyenne exploitation fait partie de l'exploitation familiale, malgré les tentatives d'intégration de cette agriculture par l'agro-business.

Q. En tant que consommateur européen, a-t-on une influence sur l'agriculture brésilienne ?
R. En Allemagne, la société civile s'organise pour interdire l'importation de soja du Mato Grosso, car on a trouvé des résidus de glyphosate dans le lait et les viandes de vaches nourries par du soja brésilien. En faisant pression sur nos gouvernements pour empêcher les importations de soja brésilien transgénique, on peut imposer une autre agriculture au Brésil. Une bonne partie de la viande exportée provient d'exploitations utilisant des esclaves.

Q. Comment faites-vous pour avoir une représentation des hommes et des femmes et pour aider les jeunes à avoir une conscience politique afin que le MST se renouvelle ?
R. La société brésilienne est traditionnellement machiste et si on considère les travailleurs agricoles, ils sont 10 fois plus machistes que les autres. Le contexte de travail est très difficile et les femmes sont reléguées à des fonctions subalternes (travaux domestiques, éducation des enfants...). A partir de ces observations, le MST a mis en place des procédures permettant aux femmes d'avoir du pouvoir dans l'organisation. Ainsi, ont été crées des crèches qui permettent aux femmes de participer aux réunions et de prendre des décisions. La parité est exigée pour participer aux formations. A chaque niveau d'organisation (du groupement d'association jusqu'au niveau fédéral), la parité 1 homme, 1 femme est requise.
Les jeunes participent activement aux actions du Mouvement. Tous les militants du mouvement doivent faire de la formation en permanence. L'incitation à se former va de l'alphabétisation au doctorat. Lors du dernier congrès, sur les 15 000 membres présents, 60% avaient moins de 35 ans. Le niveau d'esprit critique des participants a augmenté. Les discours très applaudis des vieux leaders ne sont plus acceptés, à tel point que ces vieux leaders se mettent à se former.

Q. La dernière intervention provient d'un étudiant brésilien à AgroSup. Il se demande pourquoi il existe cette situation si injuste, pas seulement en Amérique Latine, mais aussi en Afrique ? Pour lui, la cause de cette injustice, c'est le capitalisme. Il cite José Saramago pour qui la plus grande obscénité est la faim. Quelle est la force qui empêche que des personnes simples puissent utiliser la terre, car la terre est un droit nécessaire à la vie comme l'air ? La terre génère la vie, c'est de là que les hommes tirent leur subsistance. Comment imaginer que cette force de vie soit empêchée par des intérêts financiers ?
La plus grande contradiction du MST, c'est de faire respecter la loi, que la terre appartienne à celui qui la travaille. Souveraineté alimentaire, souveraineté populaire, n'intéressent pas ceux qui sont intéressé par l'argent.
A qui sert l'intérêt que l'espace rural soit vidé de sa substance pour le rendre invisible ? Le capital, cette chose terrible et abominable.


En conclusion, Joaquin remercie l'assistance pour son écoute et l'intérêt porté au Mouvement des Sans Terre. Il espère avoir contribué à une meilleure connaissance de la réalité des luttes paysannes au Brésil.

GOUVERNEMENTS POPULAIRES EN AMÉRIQUE LATINE : « FIN DE CYCLE » OU NOUVELLE ÉTAPE POLITIQUE ?

https://mouvementsansterre.wordpress.com/2016/01/17/gouvernements-populaires-en-amerique-latine-fin-de-cycle-ou-nouvelle-etape-politique/GOUVERNEMENTS POPULAIRES EN AMÉRIQUE LATINE : « FIN DE CYCLE » OU NOUVELLE ÉTAPE POLITIQUE ?
Isabel Rauber
Quelques intellectuels qui se définissent comme étant de gauche ou de centre gauche, ont affirmé récemment que nous vivons une fin de cycle des gouvernements progressistes, caractérisée par l’épuisement de leurs programmes néo-développementistes – qui incluent l’extractivisme – et leur « inefficace » capacité de gestion. Selon eux, nous devons donc nous attendre à une avancée de la droite dans la région, situation qui dessinerait une nouvelle carte politique en Amérique latine. Avec ce discours « visionnaire », basé sur la connaissance des projets géopolitiques de l’empire pour la région, ces intellectuels ont contribué à installer et à « rendre naturel » dans l’opinion publique l’avènement de la fin des gouvernements populaires et leur remplacement « inévitable » par des gouvernements de droite, en les présentant même comme une « salutaire alternance ». Il convient donc de partager quelques réflexions au sujet de ce diagnostic et de ce jugement.
Le retour critique sur les événements politiques de ces dernières années révèle que les propositions politiques qui ont caractérisé l’action des gouvernements populaires dans la phase post-néolibérale, ont été accomplies. Ceci annonce l’ouverture d’une nouvelle époque, supposant des problématiques et des tâches nouvelles ainsi que de nouveaux sujets et défis. Mais au-delà des tâches et de la programmation des agendas, les premières années des gouvernements populaires ont permis aux peuples d’évoluer à travers toutes sortes  d’apprentissages.
Il est devenu clair –dans les faits- que « gouvernement » et « pouvoir » ne sont pas synonymes, qu’il n’est pas possible de les affronter en même temps ni de la même façon. Les révolutions démocratiques ne sont pas synonymes de la « voie pacifique » d’autrefois. Elles supposent l’approfondissement de conflits politiques comme véhicules de la lutte des classes,  ceux-ci étant fortement liés à une profonde bataille d’idées, tant politique que culturelle.
Il est devenu clair qu’il ne suffit plus de placer « de bons gouvernements » à des postes institutionnels qui répondent au système que l’on cherche à changer.
  • La croissance économique est importante, mais insuffisante. L’éducation politique, la bataille idéologique est centrale. Et elle est liée à la participation politique, à la prise de pouvoir. Personne ne peut autonomiser autrui et moins encore par le haut. L’autonomisation germe dans la participation consciente et active des sujets lors des processus qui transforment la société.
  • La conception de la politique par le haut et discrétionnaire du XXème siècle est épuisée; la niaiserie, le romantisme fade au sujet de la démocratie, la sous-estimation de la politique, et les vieilles modalités de la représentation politique qui supplantent la participation populaire et séparent le politique du social.
  • Fin du maximalisme théorique et du minimalisme pratique de l’extrême-gauche.
  • Fin de l’avant-gardisme, de la pensée libérale de gauche et des pratiques qui en sont issues, et qui isolent les militants de gauche des processus concrets que vivent les peuples, leurs acteurs et leurs dynamiques, en les situant hors des espaces concrets où ont lieu les combats politiques.
DÉFIS FONDAMENTAUX DE CETTE NOUVELLE ÉPOQUE POLITIQUE
Les peuples, les mouvements sociaux et politiques, ainsi que les gouvernements populaires, révolutionnaires et progressistes ont besoin de faire une pause, de rendre compte des réussites, des limites et des nouvelles missions. Il s’agit de cela : retourner aux questions initiales, reconsidérer les réponses qui ont guidé les pas de l’action politique, économique, sociale et culturelle durant plus d’une décennie, tout en se préparant à affronter de nouveaux défis. Parmi eux, je soulignerais les suivants :
Conserver les acquis implique renforcer le processus de changement   
Le retour en force d’oppositions politiques de type néolibéral a mis certains gouvernements sur la défensive. Conserver les acquis est devenu une priorité de l’action politique. Mais ce qui n’a pas été – n’est pas – clarifié c’est que, pour conserver ce qui a été conquis et pour maintenir les processus de changements, il est nécessaire de les renforcer, de les approfondir. Ce n’est pas par des accords entre groupes de pouvoir, ni en cherchant des alliances avec des secteurs opposés aux changements qu’on y parvient; l’exemple du Brésil est plus qu’éloquent à cet égard.
La clé réside dans le fait d’ancrer les processus dans la participation active des citoyens. Une nouvelle époque sociale, politique et culturelle s’est bâtie : ce qui suppose de nouvelles missions dont la réalisation doit se marier avec l’action populaire. Cela implique également de renforcer les processus de conscientisation et d’organisation collective pour revigorer la détermination des peuples à maintenir les acquis et à entraîner le processus vers de plus grandes transformations. Cela ne peut pas être spontané ; si l’on livre les événements à la « spontanéité », ne nous étonnons pas face à l’avènement de substitutions politiques de droite.
L’actuelle conjoncture politique du continent place les gouvernements populaires, les forces progressistes et révolutionnaires face au choix de renforcer les transformations ou de succomber face à elles, s’ils choisissent de les défendre exclusivement « par le haut ».
Ley-de-Medios-Kaloian-34
Argentine, janvier 2016: répression de travailleurs par le gouvernement Macri
La participation active des citoyens est stratégique pour que les gouvernements populaires deviennent aussi une manière de construire ce pouvoir populaire.
Le renforcement de la démocratie requiert d’assumer l’impératif politique décisif du rôle actif du peuple : les transformations relient simultanément les lignes politiques des gouvernements populaires aux différents processus deconstruction et de consolidation du pouvoir par le bas. C’est ce qui constitue le fondement de l’approfondissement des processus de transformation sociale en cours. Le penser comme un simpleaggiornamento de l’agenda public laisse les gouvernements populaires à la merci de la voracité politique des opposants.
Les réalités objectives et subjectives ont changé ; les subjectivités politiques des acteurs qui prennent part aux processus de changement se sont approfondies, il y a une exigence de rôles nouveaux, plus importants. Cette action a besoin aujourd’hui de se réorganiser et de se réarticuler pour constituer de nouvelles convergences dans les actions militantes sociales et politiques, à l’intérieur et à l’extérieur de ce qui est institutionnel, et en actualisant l’horizon stratégique des changements.
Parier sur la construction du rôle collectif des peuples pour qu’ils se constituent en force politico-sociale de libération est le facteur essentiel qui marquera le cap et les dynamiques politiques du présent et du futur immédiat. C’est lui aussi qui conduira à la construction de l’unité des peuples.
Reconnaître la participation populaire organique comme un facteur clé pour la consolidation et l’approfondissement des processus de changement en cours, ne s’oppose pas à la reconnaissance du rôle des leaderships individuels. Mais cela ne signifie pas accepter que la continuité des leaders à la tête des gouvernements populaires soit le facteur qui donne de la stabilité et de la solidité aux processus. Au contraire, lorsque des leaders se substituent au rôle politique des peuples, en réalité, loin d’en garantir la continuité, ils entraînent le processus dans le court terme.
Des peuples sans autonomie et sans conviction propre agiront peu pour renforcer et/ou approfondir des processus s’ils ne les perçoivent pas réellement come les leurs. La distance s’installera silencieusement dans les rangs populaires et ouvrira la voie à de prévisibles défaites. Ce n’est pas une situation en « noir ou blanc » ; il faut beaucoup nuancer. On a souvent vu des organisations populaires faire preuve de davantage de maturité et de responsabilité que leurs dirigeants et, même quand ils ne parviennent pas à éviter des dénouements négatifs, leur présence active dans la rue, les réduisent de façon non négligeable. Les leaders sont importants et dans certains cas, décisifs. Jamais pour remplacer la participation active des peuples, plutôt pour la déclencher et la faire progresser.
Hugo Chavez, exemple de leader charismatique et grand architecte du processus révolutionnaire bolivarien au Venezuela, n’a pas centré ce processus sur sa personne. Pour lui, il était clair que le peuple auto-constitué en tant que sujet révolutionnaire est le véritable créateur, constructeur et support d’un nouveau type de pouvoir en gestation dans les conseils communaux et les communes. C’est avec ces derniers que  la révolution bolivarienne avance vers une nouvelle civilisation, en s’orientant- avec  des citoyens assumant de plus en plus de pouvoirs – vers la construction d’un État communal. C’était si clair pour Chavez que son slogan a été (et restera) « la commune ou rien ».
Ciné-club dans une commune du Venezuela (novembre 2015)
Projets d'agriculture urbaine et jardins dans les écoles primaires (Venezuela, janvier 2016)
Construire un nouveau mode de production et de reproduction (société-nature)
L’une des plus grandes limitations de ce que l’on pourrait définir, sans trop de peine, comme « modèle économique néo-développementiste » c’est qu’il s’ajuste aux cadres du modèle de production capitaliste, et entretient ainsi le cycle de la mort. Ceci contribue à fixer pour cette nouvelle époque une tâche importante : créer et articuler des processus productifs alternatifs existants et promouvoir la recherche de nouvelles bases économiques qui rendent possible la cohérence sociale entre ce cycle de production et la reproduction.
Il s’agit d’élaborer un système productif responsable socialement du cycle reproductif qu’il génère. C’est-á-dire contribuer à la création d’un nouveau mode de production-reproduction sociales respectant une logique circulaire. Ce qui ouvrirait la voie à une nouvelle économie, qui, en plus de répondre avec succès à la question de la lutte contre la faim, la pauvreté, l’analphabétisme et les maladies, constituerait le socle d’un nouveau mode de vie et une nouvelle forme de civilisation, celle du bien vivre et du vivre ensemble.
Sortir de l’étau idéologique, politique, culturel et médiatique du pouvoir hégémonique
  • Déployer la bataille politique culturelle sur tous les terrains et dans toutes les dimensions, en particulier les réseaux sociaux.
  • Veiller au développement de la subjectivité et de la spiritualité des peuples en favorisant l’expression de leur identité, de leurs cultures et cosmovisions…
  • Développer durablement des processus interactifs de formation politique.
  • Ouvrir la voie d’une nouvelle pensée critique latino-américaine, décolonisée, interculturelle, embrassant de nombreuses cosmovisions, s’exprimant dans de multiples voix, et ancrée dans les pratiques des peuples.
  • Promouvoir des processus articulés de décolonisation, d’interculturalité et de rupture avec le cadre patriarcal visant la construction du pouvoir populaire par le bas.
  • Développer un nouveau type d’intellectuel organique, qui découvre, met e lumière et renforce la pensée des peuples dans toute sa diversité, son ampleur et sa richesse.
Travailler au renforcement et au développement de l’articulation régionale, continentale des mouvements et organisations sociales populaires, et, en particulier agrandir et renforcer l’espace des mouvements sociaux dans l’ALBA. Mais également, impulser la création d’espaces de rencontre, d’échange et de coordination des organisations sociales et politiques continentales, régionales et existantes au sein de chaque pays.
Parier sur la création et la construction d’une nouvelle gauche politique, sociale et culturelle
Il est vital de comprendre les nouvelles dimensions du politique, de l’action et de l’organisation politique; vital de souligner l’existence de nouvelles réalités et de nouveaux sujets : les déplacé(e)s de diverses origines, les populations précarisées de manière permanente, les mouvements indigènes, les femmes, les jeunes filles et jeunes hommes, les enfants, les adultes plus âgés, les LGTB…, de consacrer un espace aux identités, cosmovisions, savoirs, sagesses et courants de pensée : les connaissances écologiques, la biopolitique, la bioéthique, le féminisme politique et la rupture avec le patriarcat pour réaliser ainsi une critique radicale du pouvoir du capital…
Construire l’offensive stratégique populaire révolutionnaire
L’une des résultantes les plus récurrentes de la division du camp populaire, et particulièrement parmi la gauche latino-américaine, c’est que les manifestations et les luttes sociales finissent par exister en fonction des intérêts des puissants. Le camp populaire étant marqué par des querelles internes de « pouvoir », par des divisions multicolores de tout type entre les forces politiques et leurs corrélats dans les mouvements sociaux populaires, les conflits sociaux finissent par se subordonner aux stricts intérêts du pouvoir, en le renforçant comme « alternative politique » au lieu de parvenir –collectivement- à subordonner les puissants aux intérêts des citoyens et de passer à l’offensive en proposant un agenda politique des objectifs populaires. Le cas de l’Argentine nous en fournit en exemple très clair, visible tant dans les événements les plus récents que dans la trajectoire historique des gauches.
A cette grande faiblesse politique et culturelle, ajoutons la démagogie d’unepensée binaire (« ceci ou cela », « blanc ou noir »…), le développement de la guerre médiatiquequi vise à conquérir et à anesthésier les esprits du « grand public » sans que les organisations politiques et sociales – occupées par leurs querelles internes – n’assument le travail de la bataille d’idées comme querelle fondamentale des luttes politiques de notre temps.
Le manque de convergence et d’unité des divers acteurs sociaux et politiques, ajoutée au peu de formation politique, à la sectorisation et au corporatisme… met les organisations sociales et politiques des peuples en situation de subordination aux intérêts des puissants. Ceux-ci peuvent les manipuler pour atteindre leurs objectifs, en affaiblissant et en brisant la base sociale des gouvernements populaires pour se regrouper en tant que bloc de pouvoir d’opposition, capable de récupérer son hégémonie. Cette récupération témoigne d’une adaptation des puissants qui, ayant analysé la nouvelle donne politique liée aux gouvernements populaires, chercheront une fois au gouvernement à détruire les bases démocratiques des sociétés pour empêcher tout retour de gouvernements progressistes, populaires ou révolutionnaires sur le continent. Ils ne sont pas seuls pour ce faire; ils comptent sur l’appui impérial, les institutions du pouvoir globalisé du capital et de ses « canonnières » médiatiques locales et globales.
L’arrivée de gouvernements de droite dans la région n’est pas un simple «retour au passé », pas plus qu’il ne répond à une « alternance enrichissante » de gouvernements et de gouvernants. Il s’agit d’une nouvelle phase, d’un virage radical pour articuler les processus locaux aux besoins hégémoniques et logiques du pouvoir global du capital : pillage, domination et mort… Il est important de ne pas le sous-estimer, et de préparer de nouvelles résistances ancrées dans la coordination, l’unité, la participation des secteurs populaires dans toute leur diversité. C’est cela que doit viser le renforcement de la formation sociopolitique et des processus organiques de convergence collective. Avec des objectifs communs s’inscrivant dans la création et la construction collectives d’unnouvel horizon de civilisation.
Visite de l'ex-président Lula à l'école de formation sociopolitique intégrale du Mouvement des Travailleurs Sans Terre et autres mouvements sociaux, Brasil janvier 2015.
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Traduction : Sylvie Carrasco
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