mouvement sans terre

3 avr. 2016

Brésil. La droite se déchaîne contre les conquêtes sociales.


issu du site internet de l'humanité: http://www.humanite.fr/bresil-la-droite-se-dechaine-contre-les-conquetes-sociales-602830


Rassemblements spectaculaires, opérations de police à fins médiatiques, attaques sans retenue... La droite brésilienne, menacée dans ses privilèges, se déchaîne pour parvenir à la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Hantée par le spectre du retour de Lula da Silva, l’opposition instrumentalise la justice autour de l’affaire Petrobras, qui a éclaboussé l’ancien chef de l’État.
Stupéfiante image que celle du Brésil qui nous est régulièrement décrite par une grande majorité de médias ! Le géant d’Amérique latine est sur le point de s’embraser, les manifestants se comptent en millions, qui arpentent les artères des grandes villes, arborant tee-shirts et banderoles pour dénoncer d’immenses scandales de corruption autour du groupe pétrolier d’État Petrobras, impliquant jusqu’à la présidente, Dilma Rousseff, ainsi que son prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva, tous deux pris quasiment la main dans le sac, si l’on en croit les commentateurs, et trahis par des conversations téléphoniques révélées par un juge en charge du dossier, le désormais célèbre Sergio Moro, proclamé héros du « peuple » dans la rue. Deux heures à peine après la nomination de Lula comme chef de cabinet de la présidente, il rend public ce qui est supposé être un « arrangement » conclu de vive voix pour soustraire ce dernier à la justice, lui éviter de répondre des faits de corruption et blanchiment d’argent dont il est fortement soupçonné au point de justifier perquisition et garde à vue largement médiatisées… Et c’est aussi un juge qui aura dans la foulée l’audace, nous dit-on, d’un superbe et inédit coup d’éclat : la suspension de la nomination de Lula au poste de ministre !
Peu importe que les juristes entrent ainsi de plain-pied dans une bataille politique, ils ont l’étoffe de sauveurs du pays, qui se trouve entre les mains d’un pouvoir rongé par la corruption. Peu importe aussi qu’ils aient fait ouvertement le choix d’un camp, celui de la droite, qui tente rageusement de faire barrage à un retour de Lula père, entre autres, de la « Bolsa Familia » – littéralement « bourse familiale », un programme social qui vise à donner un revenu aux plus pauvres et qui a sorti quelque 36 millions de Brésiliens de la pauvreté.

Blancs, riches, libéraux sur le pavé

« L’opération Lavage rapide (nom de l’enquête autour de Petrobras – NDLR) avait un objectif clair : faire que Dilma ne puisse plus se maintenir et annuler les velléités de Lula pour les élections de 2018 », affirme l’avocat Marilson Santana, cité par l’AFP. « Il n’y aura pas de coup d’État ! » ont scandé pour leur part le 17 mars les 277 000 militants et sympathisants de gauche, selon la police, dans 55 villes. Sans doute, une fraction très mimine de la grande majorité, restée silencieuse jusque-là devant les rassemblements spectaculaires, étrangement animés, dans une ambiance carnavalesque, avec chars et musique, qui ont défrayé la chronique une semaine durant pour réclamer le départ de Dilma Rousseff, accusée d’avoir maquillé les comptes publics pour se faire réélire en 2004.
Mais qui sont ces Brésiliens fiévreusement mobilisés ? C’est la face cachée de l’iceberg. « Parmi les quel­que 3,5 millions de manifestants du 13 mars, l’immense majorité était blanche. Et pourtant, depuis 2011, plus de la moitié de la population brésilienne, soit 110 millions de personnes, est noire. Autre détail : 77 % des personnes qui participaient aux manifestations jouissaient d’un niveau d’éducation largement supérieur à celui de la population brésilienne. Et 40 % recevaient un salaire 10 fois supérieur au salaire brésilien moyen », constatent sur le blog du bureau du Brésil (geopolis.francetvinfo.fr/bureau-bresil) les journalistes Fanny Lothaire et Marie Gentric, présentes à Rio. Pas de Noirs, pas de pauvres non plus, donc, dans les rangs des manifestants ! « À l’exception, bien entendu, des employés domestiques, des vendeurs ambulants et des employés de la police militaire. Les cris de colère étaient ceux d’une élite, la voix d’une minorité », concluent-elles. Mais pas seulement. Ces déferlements d’une supposée majorité répandent en réalité un discours de mépris, voire de haine à l’égard des pauvres. « Ils passent leur temps à boire de la pinga (rhum brésilien – NDLR) et à faire des enfants. Personne ne veut travailler », persifle une manifestante de São Paulo. « 100 % anticommunisme », lisait-on sans surprise sur certains tee-shirts. « L’élite perçoit le gouvernement comme une menace pour ses privilèges. En réalité, elle n’est pas concernée par la moralité ou l’honnêteté, elle a toujours été dirigée par un gouvernement corrompu », dénonce un militant pour les droits de l’homme dans la région de Bahia cité par les deux journalistes.

Un retournement de tendance

Non, « l’ensemble du pays n’est pas favorable à la destitution de Dilma Rousseff », confirme pour sa part Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du « Monde diplomatique » et auteur des « Enfants cachés du général Pinochet » (Éditions Don Quichotte). La corruption est effectivement « un phénomène qui touche l’ensemble des pays d’Amérique latine, qu’ils soient gouvernés par la droite ou par la gauche. Aujourd’hui, c’est le Parti des travailleurs qui est mis en accusation, mais en réalité, toutes les formations importantes du pays sont impliquées », note-t-il. Formules courantes, semble-t-il, les surfacturations permettent de drainer des financements vers les partis. « Mais, dans le cas de Lula, on n’a pas affaire à de l’enrichissement personnel », précise-t-il. Ce dernier « avait d’ailleurs été nommé “homme de l’année” en 2004 par de nombreux médias, dont “le Monde” pour ce qui concerne la France », rappelle Maurice Lemoine. « La raison de ce retournement de tendance est très simple. À un moment, on avait besoin, face à Chavez, d’un président de gauche “respectable”, “acceptable”, on a donc fait de Lula une icône. Aujourd’hui où Chavez a disparu, où le Venezuela est en difficulté, on n’a plus besoin de Lula. »

Le double objectif de la droite

Au Brésil, c’est bel et bien la droite qui est à l’assaut d’un pouvoir de gauche considérablement affaibli par les affaires. Elle surfe sur une dynamique régionale en sa faveur : « La défaite du Parti socialiste unifié (PSUV), au Venezuela, en décembre 2015, une certaine victoire de la droite en Bolivie qui a réussi à empêcher la réforme de la Constitution pour que Morales ne puisse pas se représenter, la victoire de la droite en Argentine… on a là évidement une conjoncture qui fait que la droite se déchaîne », explique Maurice Lemoine.
Fait pour le moins significatif d’une bataille politique qui instrumentalise la justice, le juge de Brasilia qui a pris l’initiative de suspendre la nomination de Lula au gouvernement battait le pavé avec les manifestants anti-Rousseff. Les dés sont ainsi pipés. Les rassemblements carnavalesques qui tentent d’ébranler le pouvoir ont en réalité un double objectif : parvenir à la destitution de Dilma et surtout faire barrage aux conquêtes sociales. La droite a certes gagné des batailles, mais pas encore la guerre contre l’immense majorité de Brésiliens pauvres qui se revendiquent de la « Bolsa Familia ».

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